Karine Daraiche a deux enfants : un garçon et une fille.

Son fils – l’aîné – est né en février. Lorsqu’il a commencé la première année, ses 6 ans bien entamés, il était prêt à apprendre à lire, à écrire et à compter. Sa fille est de la fin du mois d’août. Le premier jour de première année, elle avait encore 5 ans. Et… « elle voulait jouer », se souvient sa maman.

Il est difficile de départager l’effet de l’âge de celui du tempérament ou de l’environnement. N’empêche, Karine Daraiche l’a bien vu : sa fille n’était pas aussi mûre en commençant l’école. « Elle avait aussi une tête de moins que les autres », précise-t-elle.

Au Québec, pour entrer à l’école, les enfants doivent avoir 5 ans au plus tard le 30 septembre. Ceux qui suivent attendent l’année suivante. Parmi les élèves d’une même classe, l’écart d’âge frôle une année. En maternelle, cette différence est considérable.

Mère de quatre enfants (deux « vieux » d’octobre et de décembre, et deux « jeunes » d’août et de septembre), Marie-Ève M. Scott a aussi observé un écart de maturité entre les deux clans, dans les premières années d’école surtout. « Pour mon fils, né en août, l’enseignante avait trouvé un truc pour qu’il reste tranquille : elle lui faisait compter les autres élèves en rang », se souvient Marie-Ève, qui souligne que le passage au secondaire a aussi représenté une « très grosse marche » pour lui. Ses plus jeunes réussissent toutefois aussi bien à l’école que ses plus vieux.

Karine Daraiche, elle, croit que le mois de naissance de sa fille a joué sur le plan scolaire. Si elle avait pu commencer l’école plus tard ou redoubler une année (ce que ses parents ont souvent demandé), « ça aurait été tellement plus facile », croit Karine. La fillette ira peut-être en cheminement particulier à l’école secondaire, l’an prochain. Même si elle travaille fort, les résultats ne sont pas au rendez-vous.

Moins à l’université

Il est bien documenté que les « bébés de classe » réussissent en moyenne un peu moins bien que les doyens. On parle d’une moyenne : ce n’est pas tous les enfants qui en souffriront. Professeur de psychologie retraité de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Françoys Gagné donne l’exemple des élèves qui font une entrée précoce à l’école. « Ce groupe d’élèves manifeste des performances et une maturité supérieures même aux plus âgés de la cohorte », souligne M. Gagné, qui cite les résultats de la thèse de son ancienne élève Nadia Gagnier. Les enfants doués sur le plan intellectuel – y compris ceux ayant aussi des difficultés sur le plan socioaffectif – ont tout intérêt, selon lui, à progresser à un rythme accéléré.

Mais de façon générale, les bébés de classe – ceux nés en été au Québec – ont de moins bons résultats scolaires que leurs camarades nés à l’automne, et c’est particulièrement vrai au primaire. À quel point ?

Professeure d’économie à l’Université de Californie, Kelly Bedard a mené une étude sur la question, en 2006, en se penchant sur les résultats à des tests internationaux en mathématiques et en sciences. À 9 ans, les bébés de classe avaient un retard allant jusqu’à 12 centiles sur les plus vieux.

« La question, c’est : est-ce que cet effet perdure ? », dit Mme Bedard, jointe par La Presse. La réponse : l’effet diminue avec le temps, mais il se maintient. À 13 ans, l’écart entre les plus jeunes et les plus vieux variait de 2 à 9 centiles. Fait surprenant : en Colombie-Britannique et aux États-Unis, les bébés de cohorte étaient un peu moins susceptibles d’aller à l’université (une sous-représentation de 7 % à 12 %).

Un exercice semblable a aussi été mené au Royaume-Uni, l’année suivante. À 7 ans, les bébés de classe avaient en moyenne 25 points de pourcentage moins de chances d’atteindre le niveau attendu que les plus vieux. Encore là, la différence diminuait avec le temps (4 points de pourcentage à 11 ans et 6 points de pourcentage à 16 ans), mais elle ne disparaît pas complètement.

Pourquoi l’écart persiste-t-il ? Kelly Bedard fait le parallèle avec les équipes de hockey élite, où les joueurs nés en début d’année sont surreprésentés. Ces derniers – plus développés – reçoivent plus d’attention, gagnent en confiance, ont les meilleurs entraîneurs… « Et les plus jeunes sont laissés derrière », illustre-t-elle.

En Suède

Au Québec, les bébés de classe sont ceux de septembre, et c’est en septembre que naissent le plus d’enfants. La réalité est différente en Suède : les bébés de classe suédois sont ceux nés en fin d’année, et les taux de natalité sont en baisse en novembre et en décembre.

Professeur de démographie à l’Université de Stockholm, Gunnar Andersson attribue cette réalité à deux facteurs : le désir des parents d’avoir un congé parental en été, et celui de mettre toutes les chances du côté de son enfant sur les plans scolaire et sportif. « C’est le genre de chose que considèrent les parents, particulièrement les plus instruits », dit Gunnar Andersson, qui a publié un article sur la question en 2019.

Consultez l’étude de Gunnar Andersson (en anglais)

Les parents ne doivent pas s’emballer pour autant. « Ne paniquez pas, lance Kelly Bedard. Ma propre fille est bébé de classe, elle est à l’université, et tout va bien ! » D’autres facteurs, dit-elle, ont beaucoup plus de répercussions sur la réussite scolaire, comme le revenu annuel des parents. Aux yeux du professeur Françoys Gagné, le simple fait d’être un garçon constitue un facteur plus important que l’âge relatif.

Kelly Bedard se montre davantage préoccupée par un autre dossier : le surdiagnostic de TDAH chez les plus jeunes des cohortes.

Impacts socioaffectifs

Les impacts socioaffectifs liés à l’âge relatif ont aussi été étudiés. Dans une revue de la littérature scientifique publiée en 2023, des chercheurs britanniques concluent que les bébés de classe sont plus susceptibles d’avoir des difficultés sur le plan des comportements, du bien-être psychologique et des expériences sociales, mais que cette différence est heureusement « très petite ».