Les enseignants et les écoles sont-ils aux prises avec les problèmes créés par la dépendance de certains jeunes aux réseaux sociaux ? En Ontario, quatre conseils scolaires accusent les sociétés mères de Facebook, d’Instagram, de Snapchat et de TikTok de perturber les apprentissages des élèves et leur réclament plus de 4 milliards de dollars.

Quel est l’objet de ces poursuites ?

Faisant le constat que la santé mentale, l’attention et les apprentissages des élèves sont affectés par une trop grande utilisation des réseaux sociaux, les conseils scolaires du district de Toronto, du district de Peel et du district d’Ottawa-Carleton ainsi que le Conseil scolaire catholique du district de Toronto ont déposé jeudi quatre plaintes devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario.

Les sociétés derrière les applications les plus populaires auprès des jeunes cherchent à « maximiser leurs profits » aux dépens du bien-être des élèves, plaident les conseils scolaires, qui disent que ce sont les enseignants et les écoles qui doivent composer avec les conséquences chez les jeunes, notamment en augmentant l’aide en santé mentale.

Il y a peu de précédents sur lesquels se baser pour envisager une issue à ce recours judiciaire, dit Marie-Pier Jolicœur, doctorante en droit à l’Université Laval.

« Ce sont de grosses poursuites très onéreuses, qui peuvent avoir des chances de se régler et non de se rendre à procès, ce qui est parfois dommage parce que le tribunal est un forum qui permet de mettre des choses en lumière et d’inviter des experts, de faire témoigner des parties », explique Mme Jolicœur.

Cette action juridique n’est pas inédite : des centaines de conseils scolaires aux États-Unis, ainsi que certains États américains, ont intenté des poursuites similaires contre des entreprises de médias sociaux. Au Québec, trois parents de joueurs mineurs ont intenté une action collective contre Fortnite en dénonçant la dépendance engendrée par ce jeu.

Dans ce contexte, « ce n’est pas surprenant qu’on en vienne à questionner l’éléphant dans la pièce que sont les géants du web, plutôt que d’être dans un discours culpabilisateur envers les parents, ou démonisant pour les jeunes », observe Marie-Pier Jolicœur, qui se spécialise en droit des technologies et droit des enfants.

Les écoles du Québec pourraient-elles suivre ?

Schools for Social Media Change, qui regroupe les conseils scolaires ontariens qui poursuivent les géants des réseaux sociaux, n’a pas souhaité accorder d’entrevue à La Presse, mais questionné à savoir si des centres de services scolaires du Québec pourraient se joindre au mouvement, on a répondu que pour l’instant, l’accent avait été mis sur les écoles ontariennes.

« Nous croyons qu’il s’agit d’une question qui touche les écoles et les administrations scolaires de tout le pays », a néanmoins commenté l’avocat Duncan Embury, chef du contentieux chez Neinstein LLP, qui représente les conseils scolaires ontariens et finance la poursuite.

La Fédération des centres de services scolaires du Québec dit qu’elle n’a pas eu vent de poursuites du genre qui pourraient être entamées par ses membres, mais convient « que la dépendance des jeunes aux réseaux sociaux peut être un élément perturbant pour l’apprentissage des élèves et que celle-ci ajoute un poids au système scolaire ».

La Fédération des établissements d’enseignement privés (FEEP) estime quant à elle qu’intenter de telles poursuites n’est pas son rôle.

Mais oui, dit son président David Bowles, « on voit des dépendances au numérique chez les jeunes ». « On voit les jeunes toujours en train de jouer aux mêmes jeux. Mais les écoles prennent les jeunes dans la société dans laquelle ils vivent », ajoute-t-il.

Le cabinet du ministre de l’Éducation Bernard Drainville rappelle que les cellulaires ont été interdits dans les classes des écoles québécoises en janvier dernier.

« Il faut continuer de réfléchir aux actions à poser », écrit Antoine de la Durantaye, attaché de presse de Bernard Drainville.

Quel effet ont les écrans sur les élèves ?

Les conseils scolaires ontariens disent que les sociétés visées « savaient, ou devaient savoir » que concevoir des plateformes qui encouragent des comportements addictifs allait créer des problèmes dans les écoles.

« On sait que beaucoup des plateformes emploient des stratégies de renforcement, de “gamification” qui sont utilisées dans les jeux de hasard », observe Caroline Fitzpatrick, professeure en éducation de l’Université de Sherbrooke et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’utilisation des médias numériques par les enfants.

Les travaux de la professeure ont montré que l’utilisation des jeux vidéo, particulièrement chez les garçons, entraîne une réduction de la motivation scolaire. Tant chez les garçons que chez les filles, plus on passe de temps à jouer à des jeux vidéo, plus on risque de développer des symptômes de TDAH.

« D’autres études montrent aussi que l’utilisation trop importante des écrans peut avoir un impact négatif sur la performance scolaire et l’attention. C’est certain que pour un enseignant, c’est un plus grand défi de gérer un groupe d’élèves qui sont moins motivés, moins engagés et moins capables de maintenir leur concentration », observe Mme Fitzpatrick.

Des profs qui, justement, ont sonné l’alarme au fil des dernières années, rappelle la Fédération des syndicats de l’enseignement. Les parents aussi se sont montrés inquiets : une récente étude de la Fédération des comités de parents du Québec a révélé que le temps d’écran chez les enfants est la principale préoccupation des parents québécois.

Avec La Presse Canadienne et le Globe and Mail