« Répétez ça, tout le temps », m’a dit l’imam de la mosquée de Hull.

Cela se passait il y a quelques années, lors du premier Sommet du vivre-ensemble de la ville de Gatineau. Pour mettre en contexte les débats sur la laïcité, j’avais tenté d’expliquer aux participants, en quelques mots, pourquoi la nation québécoise était passée d’une des nations les plus religieuses dans le monde à l’une des nations les moins religieuses. J’avais notamment parlé des souffrances de nos mères et de nos grands-mères aux mains d’une Église catholique toute-puissante. « Répétez ça, tout le temps. Ça aide à comprendre le Québec », m’avait conseillé l’imam.

Comprendre. C’est le mot important, mais c’est parfois le mot qui manque. On a souvent l’impression, dans le monde d’aujourd’hui, qu’il n’y a plus de volonté de comprendre l’autre : annulation, blocage, censure à droite comme à gauche. Dans ce contexte, la nouvelle section de La Presse, Dialogue, répond à l’une des urgences de notre temps : l’urgence de vraiment dialoguer.

Le monde a toujours été clivé, mais ce clivage est maintenant stimulé par les réseaux sociaux, par le phénomène de l’information continue, par des entrevues toujours plus brèves, par l’exigence de réaction politique instantanée. Le temps entre l’apparition d’une pensée, intelligente ou non, et son expression publique n’a jamais été si court.

Cette obsession toxique de tout communiquer en temps réel occupe une place prépondérante dans la liste des entraves au dialogue intelligent – difficile de dire quelque chose de brillant et de constructif quand on ne prend pas le temps de réfléchir.

Toutefois, ce n’est pas la seule entrave préoccupante. Non, ce qui m’inquiète le plus, ce n’est pas tant la volonté de « faire taire » que représente le phénomène des annulations, par exemple, mais la volonté de ne plus écouter : c’est le rejet du dialogue par l’étiquetage.

Cette personne est de droite, son opinion n’a pas de valeur. Cette autre est de gauche, son opinion ne compte pas. Il n’a pas la bonne couleur de peau, sa parole n’est pas valable. Il n’a pas le bon sexe, son opinion n’est pas fondée. L’étiquette tue l’idée. L’étiquette, c’est l’excommunication – l’interdiction de la communion –, le rejet, l’exclusion. L’étiquette identifie des infréquentables, on ne les écoute plus.

Pourtant, l’histoire devrait nous avoir appris que la pensée unique est aussi toxique qu’inefficace. C’est la diversité des façons de penser, c’est la diversité des approches, c’est la diversité des expériences qui permettent de faire les bons choix.

Du choc des idées jaillit la lumière, disait déjà Boileau, il y a quelques siècles. Le contraire est également vrai : limiter le débat, c’est favoriser l’obscurantisme.

Censurer, de quelque façon que ce soit, c’est aussi se donner bonne conscience tout en laissant les idées nocives circuler, car elles circulent toujours, quoi qu’on fasse. A contrario, l’absence de censure nous oblige à nous mobiliser, à affronter les idées dangereuses par le dialogue, ce qui est difficile, plutôt que de se réfugier derrière un silence en trompe-l’œil, ce qui est simple. On ne combat pas une idée en l’ignorant comme on ne combat pas un complotiste en l’insultant (voir Mon frère est complotiste, de David Morin et Marie-Ève Carignan). L’absence de dialogue direct, d’être humain à être humain, est un puissant fertilisant pour la haine. En matière de vivre-ensemble, le silence est nettement plus dangereux que les mots.

Quand j’étais maire, le nombre d’insultes que j’ai reçues par médias interposés, qu’ils soient traditionnels ou sociaux, serait difficilement calculable. Toutefois, dans toute ma carrière politique, je peux compter sur quelques doigts le nombre de fois où un citoyen m’a manqué de respect quand j’étais devant lui, en personne.

On ne parle pas de la même façon à un voisin de palier qu’à un « ami » Facebook. On choisit mieux ses mots quand on regarde son interlocuteur dans les yeux et qu’existe la probabilité de le croiser à nouveau au CPE, au parc, à l’école ou à l’arrêt d’autobus. On tolère mieux aussi les maladresses verbales des amis ou des connaissances. La proximité favorise le respect. En ce sens, le rôle des municipalités est crucial. Elles sont les mieux placées pour faciliter le dialogue individuel et collectif par des fêtes de quartier, par des tables de concertation, par une participation citoyenne la plus vaste possible, et ce, dans notre langue commune.

En nous connaissant mieux les uns les autres, en connaissant nos histoires individuelles et collectives, en dialoguant, nous ferons reculer les préjugés des uns et des autres et nous nous construirons un avenir commun. Dialoguons.

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