Des politiciens qui demandent à leurs citoyens de trancher une question par référendum ?

À première vue, il est difficile d’être contre. C’est comme s’opposer à l’air pur, à la confiture de fraises ou au rire des enfants. Ça paraît mal.

Le référendum est perçu comme la preuve qu’on écoute la Voix du Peuple (en lettres majuscules). Il incarne la Démocratie en Action.

Il y a pourtant des cas où le référendum me semble être une façon bien commode pour les élus de refiler une patate chaude aux citoyens en leur disant : disputez-vous entre vous, on s’en lave les mains.

Comme une abdication de la responsabilité de décider.

Si on parle de référendum, ce n’est pas parce que le Parti québécois a déposé son budget de l’an 1 cette semaine. C’est plutôt que selon Le Journal de Québec, plusieurs élus de la CAQ aimeraient forcer le maire de Québec, Bruno Marchand, à tenir un référendum sur le projet de tramway qui n’en finit pas de faire des vagues dans la capitale nationale.

Disons que François Legault n’a pas écarté l’idée de façon très ferme. « On n’est pas rendu là », s’est-il contenté de dire, affirmant du même coup qu’il était nécessaire de « consulter » les habitants de Québec au sujet du tramway.

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Le premier ministre François Legault dans le Salon bleu de l’Assemblée nationale, mercredi

Le premier ministre a aussi dit vouloir consulter au sujet du troisième lien.

Cela soulève des questions. Dans quelles circonstances devrait-on soumettre des projets à des référendums ? Qui doit être consulté lors de ces exercices – l’ensemble des Québécois qui paient la facture ou seulement ceux directement concernés ? Quel équilibre doit-on viser entre la démocratie directe (où les citoyens exercent directement le pouvoir) et la démocratie représentative (où les citoyens reconnaissent aux élus le droit de prendre les décisions en leur nom) ?

Avertissement : il n’y a pas de réponses tranchées à ces questions. Que des nuances.

J’ai d’ailleurs parlé à deux expertes aux visions diamétralement opposées là-dessus.

Fanny Tremblay-Racicot, de l’École nationale d’administration publique, croit qu’un référendum devrait être tenu sur le tramway. Stéphanie Yates, experte en acceptabilité sociale et en participation publique à l’UQAM, est persuadée du contraire.

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Une manifestation en faveur du projet de tramway devant le palais de justice de Québec, en décembre dernier

Prendre le pouls de la population

La professeure Tremblay-Racicot a des arguments intéressants. Elle rappelle d’abord que les référendums consultatifs municipaux ne sortent pas de nulle part ; ils sont enchâssés dans la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités.

Selon elle, les référendums sont pertinents « pour les projets d’envergure qui ont une grande incidence financière, architecturale, urbanistique, économique ». Le tramway de Québec répond manifestement à ces critères.

Il est intéressant de savoir que dans le cadre de la refonte de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, Québec veut limiter les référendums susceptibles de bloquer la densification des villes au nom du « pas dans ma cour ».

La professeure Tremblay-Racicot plaide aussi que le tramway est frappé par des augmentations de coûts et que les sondages montrent une érosion de ses appuis. Un référendum aurait l’avantage d’indiquer clairement le pouls de la population depuis ces changements.

La spécialiste estime qu’il ne serait pas avisé de tenir des référendums sur des questions techniques qui demandent une expertise pointue.

Ce que la littérature scientifique dit, c’est que la consultation et la participation sont préconisées lorsqu’il y a un haut niveau d’incertitude et que le sujet fait appel aux valeurs des citoyens.

Fanny Tremblay-Racicot, de l’École nationale d’administration publique

Elle estime que le tramway répond à ces critères.

On pourrait ajouter que les référendums d’initiative populaire sont très utilisés dans des endroits comme la Suisse, l’Italie et la Californie.

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Le maire de Québec, Bruno Marchand

Cliver les débats

Stéphanie Yates, de l’UQAM, est d’un tout autre avis.

« En général, je trouve que c’est une très mauvaise idée d’avoir recours à un référendum pour juger de l’acceptabilité sociale d’un projet. Un référendum, c’est oui ou non. Ça polarise les débats et ça évacue beaucoup de nuances », dit-elle

Un « non » au sujet du tramway, par exemple, ne permettrait pas de dire par quoi on souhaite le remplacer.

La professeure Yates rappelle qu’il y a déjà eu des consultations sur le tramway de Québec, notamment lors des audiences du BAPE. Et que les citoyens de Québec ont élu un maire qui avait pris clairement position pour le projet.

« Les gens ont été consultés, on a déjà mis 340 millions de dollars en études. Faisons confiance aux décisions qu’on a prises », plaide-t-elle.

La spécialiste rappelle aussi que l’acceptabilité sociale d’un projet est en constante évolution et qu’un référendum n’est qu’une photo prise à un moment précis.

« Entre la prise de décision et la réalisation, il y a souvent une période de doute qui est normale », souligne-t-elle.

Dans le cas du tramway de Québec, elle voit aussi une « instrumentalisation du référendum à des fins politiques ».

Pour moi, l’idée de brandir un référendum, c’est une manière facile et même paresseuse de montrer que le gouvernement est à l’écoute.

Stéphanie Yates, experte en acceptabilité sociale et en participation publique à l’UQAM

J’ai la même impression – même si je reconnais que, dans le cas du tramway, mon aversion pour le référendum est peut-être teintée par le fait que je suis convaincu que Québec mérite un projet de transport collectif structurant et que je souhaite le voir se concrétiser dans les meilleurs délais.

Un référendum rejeté

À mes yeux, François Legault a déjà démontré qu’un référendum peut être une façon de se dérober – et une manière atroce de trancher une question difficile.

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La fonderie Horne, à Rouyn-Noranda, soulève de nombreux questionnements depuis que l’on a appris, l’an dernier, que ses émissions d’arsenic excédaient les normes « sécuritaires » pour la santé.

C’était l’an dernier dans le dossier de la fonderie Horne. L’établissement émettait des contaminants dangereux au-delà des seuils permis. Faut-il fermer l’usine si elle ne parvient pas à respecter les normes ? « C’est aux citoyens de Rouyn-Noranda de décider », avait lancé le premier ministre, n’écartant pas un référendum.

Un tel exercice aurait pourtant braqué les citoyens les uns contre les autres, opposant ceux qui s’inquiètent pour leur santé à ceux qui dépendent de la fonderie pour gagner leur vie.

Tant la mairesse que le syndicat représentant les travailleurs de l’usine avaient d’ailleurs clairement dit au premier ministre qu’ils ne voulaient pas de son référendum. C’est au gouvernement, pas aux citoyens, de faire respecter les lois.

Devrait-on en venir à tenir un référendum… sur la pertinence des référendums ?

Une version précédente de ce texte affirmait que les référendums consultatifs sont enchâssés dans la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme au lieu de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités.

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