J'ai l'impression que je viens de prendre un coup de poing dans la figure. Oui, oui, dans la figure. Je n'en reviens tout simplement pas qu'un groupe de collègues se drapant sous le vocable « ... pour la justice sociale » ait réussi à faire dérailler la mise en oeuvre de la loi sur l'aide médicale à mourir.

J'ai bien écouté les nombreux entretiens que le Dr Paul Saba a eus avec les journalistes. Son argument principal est qu'il n'y a pas suffisamment de soins palliatifs au Québec, que, dans le fond, les gens ont peur de souffrir et que le gouvernement, ne pouvant mettre sur pied suffisamment de soins palliatifs, a trouvé une méthode « pas chère » pour mettre fin aux jours des patients en fin de vie.

C'est à la lumière de ces arguments que je me sens interpellé. Voyez-vous, je pratique les soins palliatifs à domicile. Oui, à domicile, ça existe. Je suis choqué par les propos du Dr Saba, car ils sont fallacieux. Son argumentaire repose sur une réalité bien différente de la mienne. 

Il y a quelques semaines, je participais à un congrès au Québec sur les soins palliatifs. Nous étions quatre cents médecins à écouter attentivement pendant deux jours. Nous venions de toutes les régions du Québec. Après un congrès, il y a un « buzz » où tous ceux qui pratiquent les soins palliatifs s'échangent rapidement les dernières nouveautés. Les soins palliatifs se portent bien au Québec, contrairement à ce que l'on vous laisse croire. En ce qui concerne la peur de souffrir, je suis le premier à avoir cette crainte. Toutefois, je ne laisse jamais mes patients souffrir. Je les soigne agressivement afin de leur donner le plus de qualité de vie au cours du temps qu'il leur reste.

Des soins palliatifs bien donnés surmontent bien des problématiques.

Ce qui précède pourrait vous laisser croire que je suis contre l'aide médicale à mourir. C'est tout le contraire, car il y a des cas exceptionnels. Je pense entre autres à la sclérose latérale amyotrophique qui emprisonne la personne dans un corps qui répond de moins en moins, tout en ayant, dans la plupart des cas, les facultés mentales suffisamment alertes pour sentir tout le drame qui se joue autour de vous. Vous demeurez un adulte « apte à consentir » et je peux concevoir que quelqu'un dans cette situation horrible demande de l'aide à partir. C'est ce qui s'appelle la souffrance globale, car elle ne se soulage pas par les moyens ordinaires des soins palliatifs, quoi qu'en pense le Dr Saba.

Vous vous demandez peut-être si je serais prêt à pratiquer l'aide médicale à mourir. Je vais vous révéler un petit secret. Personnellement, je ne me sentirais pas capable de poser le geste qui met un terme à la vie, mais si jamais la nature m'afflige d'une sclérose latérale amyotrophique, j'espère qu'un de mes collègues aura l'expertise pour me la faire. Personnellement, l'aide médicale à mourir, c'est un peu comme les avortements : je suis tout en faveur, je ne serais pas capable de poser le geste, mais je connais des collègues compétents et humains qui le font.

J'espère avoir jeté un peu de lumière sur le débat émotif, complexe et judiciarisé qu'est devenue l'aide médicale à mourir.