Il ne fait aucun doute que la nouvelle bâtonnière du Québec, Me Lu Chan Khuong, possède toute la légitimité pour occuper sa fonction. Lors de l'élection de mai dernier, dont personne ne conteste le déroulement, Me Khuong a obtenu 63 % des voix des 10 395 membres qui se sont exprimés (44,4 % des membres du Barreau).

Mais la publication en juillet d'événements survenus dans un magasin Simons en avril 2014 a provoqué une tempête qui a poussé le conseil d'administration du Barreau à suspendre la nouvelle bâtonnière. Menaces, invectives et procédures ont suivi. Le prochain épisode sera l'assemblée extraordinaire convoquée à la demande de partisans de la bâtonnière, le 24 août.

Il est important de savoir dans ce dossier que sept des onze avocats élus au conseil par les trois grands blocs régionaux sont des candidats de « l'Équipe de Me Luc Deshaies », candidat défait au bâtonnat avec 37 % des voix. La nouvelle bâtonnière ne disposait donc pas d'un fort capital de sympathie chez une majorité des nouveaux élus qui auraient sans doute préféré voir Me Deshaies occuper la place de bâtonnier. Il n'aura fallu que 24 heures après l'article de La Presse pour tirer sur la gâchette en direction de la nouvelle élue.

La manoeuvre a une saveur d'improvisation ; le communiqué parle de traitement non judiciaire d'une infraction commise par la bâtonnière Khuong. Qui a décidé de l'infraction ? On innove en matière de gouvernance en désignant la directrice générale du Barreau comme porte-parole du conseil d'administration. Du jamais vu. Personne n'est dupe de la suite des évènements : le règlement sur les élections prévoit la désignation d'un nouveau bâtonnier par la majorité des membres du C.A. (art. 31). Le clan Deshaies reprendrait facilement le bâtonnat avec une légitimité discutable : pas un seul des membres élus dans leur région respective n'a recueilli 3000 votes.

Laissons aux juristes le soin de trancher quant à la décision de Me Khuong de ne pas avoir mentionné avant son élection son recours au mécanisme de déjudiciarisation en juin 2014. Cette procédure normale et légitime implique l'assentiment du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) et comporte un volet très clair de confidentialité de l'entente. La ministre de la Justice a raison de s'inquiéter des sources de la fuite qui a provoqué cette tempête.

La réalité politique est qu'il appartient maintenant aux membres du Barreau de trancher sur la crédibilité de Me Khuong et sur l'importance de cette question de la divulgation.

Pour une partie de l'opinion, les titulaires de postes publics ne peuvent plus se prévaloir de la distinction entre « vie privée » et « vie publique ». D'autres croient que la confidentialité devait demeurer.

Mais il faut aller au-delà de la réalité juridique. Le mal est fait. Pour réaliser son programme assez audacieux au cours des deux prochaines années, Me Khuong doit dissiper tout doute sur sa crédibilité et faire face au public et au Conseil du Barreau avec un appui sans ambiguïté des membres de la Corporation. Le comité électoral doit demander l'opinion des membres dans un sondage rigoureux sur la validité du mandat de la bâtonnière. La nouvelle gouvernance doit partir du bon pied. Un sondage électronique pourrait aisément être tenu d'ici la mi-septembre. En cas de refus, un nouveau scrutin devra être tenu.

La nouvelle gouvernance du Barreau mise en place en décembre dernier n'est aucunement responsable de la tournure des évènements. Les nouvelles mesures vont dans la bonne direction d'une meilleure efficience et transparence. Reste entier le vrai débat, à savoir si le Barreau travaille pour ses membres ou pour la protection du public, avec une justice un peu plus rapide et moins coûteuse. En attendant, il faut clore ce sombre chapitre qui s'inscrit dans un processus démocratique qui laisse toujours un flou aux belligérants de choisir à quelle hauteur ils vont frapper l'adversaire.