Le 30 décembre 1978, nous disions «oui je le veux». Trente-cinq ans, déjà! En me réveillant le matin du 30 décembre 2013, je t'ai dit: «T'as beaucoup ronflé cette nuit». Pas très romantique, n'est-ce pas? Et de me répondre: «Après 35 ans, la marchandise est non échangeable». L'humour, voilà une première pierre à conserver sur le chemin quand on jette un coup d'oeil au rétroviseur de notre vie à deux. Humour, humilité, pour être capable de rire de soi, de notre couple, sans blesser.

Je n'adresse pas cette lettre à ma «chum», je sais que tu as horreur de ce mot, mais à toi, mon épouse, ma conjointe, ma femme, qui m'accompagne fidèlement depuis l'âge de vingt-sept ans. Il n'y a que toi pour porter ce titre et il n'y a que moi pour être ton époux, ton conjoint, ton homme. Le 1er mai 1978, je t'avais avoué ceci qui t'avait beaucoup touché: «Je te serai fidèle toute ma vie». Il fallait beaucoup de folie pour risquer ainsi l'avenir, pour t'offrir ma présence au jour le jour, quoiqu'il arrive, dans le respect des différences. Fidélité, une création à faire, un cheminement de confiance et de foi, la deuxième pierre sur notre chemin.

La vie avec toi m'a rendu plus humain. C'est tout un défi ce «vivre ensemble», il faut une sorte de charte des valeurs pour durer sans trop s'écorcher. La foi nous a aidés à tenir l'alliance, car une vie de couple, ça se bâtit. La foi, et son corollaire la prière, voilà bien cette troisième pierre qui cimente notre couple.

Vivre en couple et en famille, c'est une manière de vivre l'échange, la relation, le partage. Nos quatre enfants et deux petites-filles sont nos plus grandes réussites. Comme nous, ils ne sont pas parfaits, mais ils veulent aimer et partager, c'est ce qui compte. Et je pose ici la quatrième pierre de notre couple, le partage. Aujourd'hui, tu réalises ton rêve d'accompagner les personnes en fin de vie, en soins palliatifs. Moi, je continue à donner des retraites spirituelles et des conférences, et j'écris. Le bonheur, ça se partage, chacun à sa manière, et plus on le donne, plus il grandit.

À Noël, nous avons joué à «Un brin de jasette». C'était beau d'entendre les réponses de nos enfants à différentes questions. Je pouvais deviner tes réponses et toi les miennes. On s'en étonnait, mais c'est souvent comme cela. Cette complicité entre nous, qui vient de l'intériorité partagée, voilà la cinquième pierre de notre édifice conjugal.

Vivre en couple, c'est tout de même un sport extrême. On ne compte plus les nombreux accidentés de l'amour qui ont jalonné notre route. Quand on écrit sa vie dans l'alliance de deux corps, il arrive que l'étreinte sonne faux, que la vie de couple ne soit plus cette oeuvre d'art qu'on voulait créer. Nous avons misé sur le pardon, sixième pierre sur le chemin d'un amour fécond.

Aujourd'hui, que reste-t-il de notre amour? Je dirais plutôt avec Ferrat: «Que serais-je sans toi?» Les saisons brûlantes des premières années ont passé, où nous prenions le temps de vivre, comme le chantait si bien Moustaki. Les enfants sont venus, nous avons joué notre symphonie du mieux qu'on pouvait à la maison, et avec le temps, nous avons continué à aimer. Les chansons, comme la prière, ont été des bâtons de pèlerin sur notre route, des phares dans la nuit. Il nous reste la tendresse, ce langage quotidien de l'amour, que Brel a su évoquer avec panache, cette dernière pierre au coeur qui devient braise rouge.

Trente-cinq ans de mariage, noces de rubis. Même si le rouge passion n'est plus aussi ardent dans notre couple, la transparence de cette pierre précieuse symbolise bien l'union qui est la nôtre. Elle a pris la couleur de nos sept autres pierres, jetées sur le chemin comme autant de balises, pour mieux le retrouver au retour: humour, fidélité, foi, partage, complicité, pardon, tendresse.