Je m'occupe des patientes qui sont atteintes du cancer du sein. Malheureusement, certaines d'entre elles finissent aux soins palliatifs de mon hôpital. En les visitant, je constate que l'unité des soins palliatifs est un lieu d'une grande dignité qui offre à mes patientes la compassion, le repos, l'attention à tous leurs besoins, une possibilité de soins vraiment humains pour la fin de vie.

Et quand je discute avec les médecins qui y oeuvrent, je me rends compte qu'ils sont presque tous farouchement opposés à la décriminalisation de l'euthanasie, ou comme certains l'appellent, «l'aide médicale à mourir». Mais pourquoi donc?

Ces médecins sont ceux qui accompagnent nos proches, nos malades dans leurs dernières heures. Ce sont eux qui ont l'expérience quotidienne des soins de fin de vie. Ce sont eux qui ont souvent changé de domaine professionnel pour dévouer leur vie professionnelle à une condition médicale qui est vouée à l'échec matériellement parlant.

Pourtant, presque à l'unanimité, ils luttent contre l'idée d'ouvrir la porte à l'euthanasie, contre plusieurs de leurs collègues, contre leur Collège des médecins, contre les avocats, contre leur société, semble-t-il! Bien sûr, la commission les a entendus, mais elle ne semble pas les avoir écoutés. Pourtant, ils crient sur tous les toits: ne changez pas la loi!

Pourquoi donc cette opposition à la porte de l'euthanasie, pourtant d'apparence si humaine, si pleine de compassion? La Dre Catherine Dopchie, médecin oncologue belge oeuvrant en soins palliatifs en Belgique, là où l'euthanasie est déjà décriminalisée, nous l'a dit lors d'une conférence récente à Montréal: les deux philosophies, celle de l'euthanasie et celle des soins palliatifs sont en opposition. Totale.

En parlant de son expérience, elle nous a dit que la présentation de l'euthanasie comme la mort douce, comme LA solution digne et courageuse déroute nos contemporains, bloque l'accessibilité aux soins palliatifs, défigure et entrave la prise en charge palliative.

Pensez-y. Imaginez un vieillard atteint d'un cancer incurable qui voit sa famille puiser des énergies pour s'en occuper, ne va-t-il pas songer à demander l'«aide à mourir» ? Devant la commission spéciale, beaucoup de médecins, oncologues, infirmières, étudiants même, nous ont livré de multiples témoignages émouvants et humains, nous racontant que lorsque vient le moment, les gens veulent vivre, se rapprochent de leurs familles, et très souvent s'engagent sur un des plus riches et beaux chemins de leur vie. Dans mon expérience, et celle de mes collègues, la pensée «d'en finir» ne devient presque jamais un désir réel sur le moyen et le long terme. Mais si cette aide à mourir est proposée et appliquée rapidement dans un moment de découragement comme ça se voit parfois, alors certains prendront précocement la porte de sortie. Alors, n'assisterons-nous pas à des écourtements de vie au seuil d'une grande richesse potentielle, d'une réconciliation familiale? Peut-être.

La contradiction entre les soins palliatifs et l'euthanasie peut se résumer par cette question: est-ce que la fin de vie est un moment qui a une valeur quelconque ou non? Les soins palliatifs proclament: OUI. L'euthanasie: NON.

Les soins palliatifs représentent un des progrès les plus humains de la médecine moderne. Ils représentent ce qu'il y a de plus beau dans la médecine: l'effort d'embrasser toute la vie humaine, incluant les moments de la fin de vie. Comme me le disait une de mes patientes présentement aux soins palliatifs: c'est ce que les gens veulent, mourir dans la dignité, c'est-à-dire mourir aux soins palliatifs, ici! Alors promettre d'aider l'expansion des soins palliatifs tout en introduisant ce qui leur est antagoniste et néfaste sonne totalement faux.

Soyons une société plus humaine, et construisons un réseau de soins palliatifs disponible pour tous. Et surtout, demandons au gouvernement de ne pas nous mettre le bâton dans les roues avec son projet de promotion de l'euthanasie.