Le 1er novembre, la Cour supérieure déclarait Gabriel Nadeau-Dubois coupable d'outrage au tribunal pour des propos tenus en mai 2012, dans le contexte du mouvement de grève étudiante que le Québec connaissait alors. Il faut espérer que la Cour d'appel clarifie d'importantes questions que soulève cette décision.

Cette décision assimile l'expression d'une opinion sur la légitimité des actions d'autrui face à une ordonnance judiciaire à un comportement de nature à entraver le cours de l'administration de la justice et à porter atteinte à l'autorité des tribunaux.

Une fois rendue, une décision judiciaire répondant à une question spécifique peut ensuite constituer un précédent, c'est-à-dire un principe qui pourra être invoqué pour préciser le sens d'une règle de droit dans une situation particulière qui se produira dans le futur.  Les justiciables doivent savoir quels propos peuvent faire l'objet d'une condamnation pour un outrage au tribunal. Il est essentiel que les tribunaux éclairent le public sur l'étendue de la liberté d'expression, lorsqu'on discute de situations d'intérêt public comme celles qui découlent des ordonnances d'injonctions. La décision rendue jeudi dernier laisse subsister beaucoup d'ambiguïtés à cet égard.

Une ordonnance d'injonction est une mesure d'exception : elle constitue une limitation majeure de la liberté des citoyens qui sont directement visés. De plus, elle doit être respectée également par l'ensemble des citoyens, même ceux qui ne sont pas directement visés. C'est pourquoi les tribunaux rappellent constamment que ce genre d'ordonnance doit être soigneusement délimitée afin d'interdire uniquement les comportements qui y sont spécifiquement désignés.

En l'instance, l'ordonnance émise par M. le juge Émond intimait de laisser libre accès à certaines salles de cours de l'Université Laval et interdisait « d'obstruer ou de nuire à l'accès aux cours... ».  Elle n'interdisait ni le piquetage paisible ni le recours à tout autre moyen d'expression destiné à sensibiliser, pacifiquement et sans entrave d'accès, les étudiants qui se dirigeraient vers une salle de cours afin de les convaincre de choisir de s'abstenir.

Lorsque vient le temps de déterminer si un propos constitue une incitation à contrevenir à une injonction, l'on tient pour acquis que seuls les propos qui constituent sans équivoque, une incitation à violer l'ordonnance peuvent être visés. Il est bien établi que l'outrage au tribunal est d'interprétation stricte : avant de condamner un propos, il faut démontrer qu'il est effectivement visé par l'ordonnance qu'on est accusé d'avoir transgressé.

Or, ici, l'accusé a exprimé une opinion à caractère général sur la légitimité du recours aux injonctions dans le cadre du conflit étudiant. Nulle part trouve-t-on, dans le propos faisant l'objet de l'accusation, des mots qui conseillent, recommandent ou autrement préconisent de bafouer l'ordonnance.

Certes, le contexte peut permettre de clarifier le sens qu'il est légitime de donner à un propos. À cet égard, le juge invoque qu'un autre intervenant interviewé en même temps avait, lui, expressément préconisé le respect des ordonnances.  C'est le contraste entre les deux interventions qui constitue l'élément contextuel par lequel le juge infère qu'il y a, dans les mots du défendeur, un propos incitant à désobéir.  L'un incite à respecter les injonctions, l'autre parle de la légitimité du choix de ceux et celles qui souhaiteraient utiliser « les moyens nécessaires pour faire respecter le vote de grève », y compris des lignes de piquetage.

À cet égard, il n'est pas inutile de rappeler que l'ensemble des événements pertinents s'est déroulé antérieurement à l'adoption du projet de loi 78 par l'Assemblée nationale du Québec, qui allait, notamment, interdire le piquetage à proximité des établissements d'enseignement. Au moment de la déclaration que la Cour a estimé constitutive d'outrage au tribunal, le piquetage paisible était donc, même sur le campus de l'Université Laval, une activité, en principe, légale et légitime, par laquelle les citoyens, y compris les étudiants, pouvaient exercer leur liberté d'association et d'expression.

On peut donc tout aussi bien comprendre le propos reproché au défendeur comme n'étant rien de plus qu'une opinion quant à la légitimité des injonctions de même que des actions que pourraient prendre les associations étudiantes au regard des votes qu'ils ont pris en assemblée générale.  Pour y attribuer un sens qui constitue une incitation à violer les ordonnances, il faut ajouter au propos tel qu'il a été exprimé.

On peut exprimer l'opinion qu'une ordonnance est illégitime. Tant qu'on ne prononce pas de propos qui recommandent clairement d'y passer outre, on demeure dans le domaine de l'opinion.  Inférer d'une telle expression d'opinion un message d'incitation, c'est lui conférer un sens étendu qui accroît considérablement la portée d'une injonction.

Une ordonnance judiciaire peut interdire de poser les gestes qu'elle désigne.  Mais elle ne peut implicitement constituer un interdit général de tenir des opinions sur son bien-fondé ou sa légitimité. Elle ne peut non plus interdire des opinions ne comportant pas expressément de propos qui peuvent être compris comme incitant à y contrevenir. L'ordonnance doit être explicite et on ne peut la violer qu'en agissant en contradiction avec les interdits qu'elle comporte.

Or, la décision dans l'affaire Morasse c. Nadeau-Dubois assimile à une incitation le fait d'exprimer une opinion sur la légitimité d'une ordonnance judiciaire et sur les moyens que d'autres personnes peuvent estimer opportuns pour manifester leur désaccord. La décision ne fait pas de distinction entre le propos qui incite à violer l'ordonnance et l'expression d'une opinion quant à la légitimité de l'ordonnance et auquel on prête un effet d'incitation.

Le tribunal conclut à l'incitation à partir d'une inférence. Un propos qui se prononce sur la légitimité de gestes posés par d'autres constituerait du coup une incitation à poser des gestes de désobéissance à l'égard d'une ordonnance judiciaire. C'est une inférence qu'il est difficile de distinguer d'un interdit général qui pourrait être applicable à tout propos qui mettrait en doute la légitimité d'une ordonnance judiciaire. C'est dire l'ampleur des enjeux que pose le précédent que pourrait établir cette décision pour la liberté d'expression.

Si une telle décision devait être maintenue, il faudra dorénavant tenir pour acquis qu'aussitôt qu'une ordonnance est rendue par un tribunal, c'est un outrage au tribunal que d'en remettre en cause la légitimité, car il est dès lors toujours possible d'inférer d'un tel propos qu'il encourage à poser des gestes de désobéissance à l'ordre du tribunal.  L'interdit découlant du raisonnement exposé dans la décision du juge Jacques est extrêmement large, il englobe un vaste ensemble de propos qui pourraient être compris comme un encouragement à violer des ordonnances d'injonctions.

Ne serait-ce que pour cette raison, il est à souhaiter qu'elle soit examinée par la Cour d'appel.