À quelques jours du référendum de 1995, alors que le camp du Oui gagnait rapidement du terrain, les ministres fédéraux Brian Tobin et Sheila Copps décidèrent d'organiser un love-in à Montréal pour montrer aux Québécois que les Canadiens se souciaient profondément du Québec et de sa place dans la famille canadienne.

Air Canada, le Canadien Pacifique et Via Rail offrirent des rabais importants sur leurs billets, allant dans certains cas jusqu'à 90% du prix, pour que les Canadiens puissent se rendre à Montréal. Tous les autocars disponibles en Ontario furent mobilisés et 75 autres, bondés, partirent du Nouveau-Brunswick pour se joindre au love-in de Montréal.

Et si le Québec plongeait à nouveau le Canada dans une crise d'unité nationale? L'idée est loin d'être farfelue étant donné que le Parti québécois semble en voie de gagner les prochaines élections provinciales. Combien de Canadiens de l'extérieur du Québec se précipiteraient à Montréal pour participer à un love-in en faveur de l'unité nationale? Pas beaucoup, selon moi. De nombreux Canadiens resteraient impassibles, les bras croisés, et diraient: «Allez-y, Québécois, c'est à vous de décider.»

Les temps ont changé. L'Ouest canadien est maintenant davantage persuadé qu'en 1995 qu'il pourrait faire cavalier seul s'il le fallait. L'Ontario semble avoir perdu tout intérêt dans l'unité nationale. En fait, le message que le gouvernement provincial et les groupes de réflexion ontariens envoient constamment est que l'Ontario ne reçoit pas sa juste part des dépenses du gouvernement fédéral. Au Canada atlantique, de nombreuses personnes estiment de plus en plus que les institutions nationales et leurs politiques ont causé du tort à l'économie régionale au fil des ans.

Le paysage politique national et celui du Québec ont changé eux aussi. Qui au Québec prendrait maintenant la tête d'un mouvement pour le Non ? Il suffit de jeter un bref coup d'oeil sur la scène politique québécoise pour constater qu'il existe peu de voix crédibles capables de parler haut et fort en faveur du Canada ou intéressées à le faire.

Aux yeux de nombreux Canadiens, l'image du Québec a été endommagée par la crise des derniers mois. Le gouvernement provincial accuse un déficit très élevé et essaie de réduire une dette accablante. Néanmoins, il est incapable de regarder droit dans les yeux les étudiants qui combattent la hausse des droits de scolarité, et ce même s'ils bénéficient déjà des droits les plus bas au Canada. De nombreux Canadiens sont stupéfaits devant les tensions sociales générées par ce petit groupe d'étudiants. Pourquoi y a-t-il si peu de voix qui s'élèvent dans le monde politique, chez les gens d'affaires, dans le milieu universitaire et la communauté artistique pour dénoncer la situation?

Il se pourrait fort bien que nous marchions aveuglément dans une tempête parfaite. Les Canadiens n'en sont plus où ils étaient en 1995 sur la question de l'unité nationale. Les Québécois devront, plus que jamais, mener eux-mêmes la lutte pour le Canada tout en sachant que le reste du Canada s'est désintéressé de leur bataille.

En ce qui me concerne, je demeure fermement convaincu qu'un Canada uni vaut la peine qu'on le défende et que c'est la meilleure de toutes les options. À mon avis, les Canadiens qui prétendent qu'ils seront bien mieux sans le Québec passent sous silence l'énorme coût politique et économique d'une telle éventualité. Cela dit, il faut que de nouveaux leaders émergent au Québec et acceptent de se prononcer en faveur d'un Canada uni.