On a évoqué la possibilité de la tenue d'élections au Québec ce printemps, alors même que se poursuit le mouvement de contestation des hausses annoncées des frais de scolarité. Il est certain que ce mouvement de contestation aura d'importantes répercussions politiques sur une éventuelle campagne électorale.

Cependant, une campagne électorale aurait aussi des répercussions sur les activités du mouvement de contestation, des répercussions non seulement politiques, mais aussi juridiques.

En effet, le mouvement étudiant engage des dépenses considérables, que ce soit pour amener des étudiants en grève à des manifestations, pour louer des salles ou pour maintenir des sites internet. Or, le temps d'une campagne électorale, les dépenses que la loi qualifie d' « électorales » sont étroitement réglementées et limitées. Et ces limites s'appliquent non seulement aux candidats et aux partis politiques, mais aussi, et même plus sévèrement, à tout citoyen, groupe ou organisation qui souhaite s'exprimer sur les enjeux électoraux.

La Loi électorale québécoise interdit purement et simplement à quiconque sauf aux candidats et aux partis d'encourir des dépenses « pour favoriser ou défavoriser, directement ou indirectement » l'élection d'un parti politique ou soutenir ou critiquer le programme d'un parti, les idées qu'un parti défend ou les mesures qu'il préconise. Toute personne autre qu'un candidat ou un parti est limitée à des dépenses de quelques centaines de dollars, et à condition qu'elles ne favorisent ni ne défavorisent l'élection d'aucun candidat ou parti.

Certes, plusieurs formes de communication des idées sont exemptées de ces restrictions. Il s'agit, entre autres, de la publication à titre gratuit de lettres ouvertes ou d'articles d'opinion dans les périodiques, ou encore de dépenses qu'une personne encourt pour prendre part à une activité électorale, si ces dépenses ne lui sont pas remboursées. Cependant, aucune de ces exceptions ne permet au mouvement étudiant, tant aux individus qu'aux associations, d'échapper aux interdictions de la Loi électorale.

Ainsi, une fois l'éventuelle campagne électorale déclenchée, il sera interdit aux contestataires d'encourir leurs dépenses habituelles, dès lors que celles-ci favorisent ou défavorisent un candidat ou un parti. Or, le mouvement de contestation critique ouvertement et inévitablement le Parti libéral du Québec, le premier ministre, Jean Charest, et la ministre de l'éducation, Line Beauchamp. Les activités du mouvement visent indubitablement à défavoriser leur élection, et contreviendront à la loi pendant la durée de la campagne électorale.

Des restrictions excessives

Les dispositions de la Loi électorale n'étaient peut-être pas destinées à empêcher les mouvements sociaux de s'exprimer. Leur objectif est censé être de favoriser l'égalité des chances entre les différents partis et les diverses opinions, en empêchant les mieux nantis de s'emparer à coups de dépenses publicitaires du débat électoral et de s'en servir pour favoriser leurs intérêts particuliers au détriment du bien public. Toutefois, les restrictions sur la liberté d'expression imposées par le législateur québécois pour atteindre ce but sont si sévères qu'elles réduisent au silence non seulement les plus fortunés, mais aussi ceux qui sont bien loin de l'être, même si collectivement ils sont en mesure de disposer de moyens assez considérables. Les syndicats se sont déjà heurtés à ces restrictions, la FTQ ayant été condamnée pour avoir distribué à ses membres, lors de la campagne électorale de 2003, des dépliants critiquant l'ADQ. Ce pourrait être au tour du mouvement étudiant.

Bien sûr, ce problème ne se posera peut-être pas. La contestation étudiante pourrait prendre fin d'une façon ou d'une autre, les élections pourraient ne pas être déclenchées ce printemps. Toutefois, la possibilité même devrait être suffisante pour nous démontrer que la Loi électorale québécoise est excessivement restrictive. En tentant de minimiser l'influence de l'argent sur le processus électoral, elle privilégie les voix établies et les idées reçues que véhiculent les partis politiques et bâillonne, pendant les campagnes électorales, c'est-à-dire au moment même où les citoyens s'intéressent le plus au débat politique, les contestataires. Il nous appartient, en tant que citoyens, de changer le système électoral pour permettre chacun de s'exprimer en tout temps sur les enjeux que confronte le Québec.