Je vous écris à propos de votre projet de construction de 30 maisons de prestige sur six hectares de forêt mature, bordant le parc national du Mont-Saint-Bruno. Sachant qu'en plus d'être promoteur vous êtes aussi sénateur, je me permets de vous rappeler que «le Sénat est chargé de protéger les droits et les intérêts des Canadiens de toutes les régions, particulièrement des groupes minoritaires ou des personnes qui n'ont pas souvent l'occasion d'exprimer leur opinion au Parlement».

Est-ce qu'une simple citoyenne doit rappeler à un sénateur que le droit à un environnement sain et respectueux de la biodiversité est inscrit dans la Charte des droits?

Nul ne peut douter des gains économiques que vous pourriez tirer d'un tel projet, ni de votre «droit de développer» en fonction de la réglementation municipale actuelle. Mais cette réglementation est désuète et, dans le contexte actuel, le «devoir de protéger» un tel environnement devrait surpasser le «droit de développer».

Quinze scientifiques de trois universités ont souligné la valeur écologique exceptionnelle du Boisé des Hirondelles et son rôle essentiel pour le maintien de l'intégrité de l'écosystème du Mont-Saint-Bruno. Ils ont rappelé qu'on ne peut compter exclusivement sur les aires protégées pour conserver la biodiversité. Les zones tampons jouent un rôle fondamental. Dans le Boisé des Hirondelles, trois experts indépendants ont confirmé la présence d'espèces menacées et vulnérables. Bien que vous en ayez été informé officiellement, la page web de votre projet immobilier prétend toujours que «le site n'abrite aucune espèce menacée». Pourquoi ce silence?

On peut comparer la biodiversité à un grand jeu de dominos aux interactions extrêmement complexes du micro au macro. Chaque espèce est reliée à plusieurs autres. Lorsque l'une d'elles disparaît, elle a un impact sur les autres. Le contrôle du climat, la purification de l'air que nous respirons, de l'eau que nous buvons, de même que l'équilibre des sols qui nous nourrissent, sont le résultat d'interactions multiples entre des arbres, des plantes, des insectes, des animaux, des champignons, des micro-organismes et des bactéries de toutes sortes. Nous savons maintenant que la survie des humains dépend d'un fragile équilibre entre tous les éléments de la biosphère.

Partout dans la vallée du Saint-Laurent, les forêts et les milieux humides rétrécissent comme peau de chagrin. Ceux qui restent sont fragmentés et perturbés. Ces terres sont pourtant nos poumons, nos reins et notre coeur sans parler du plaisir qu'ils procurent lorsque nous y avons accès. Leur conservation n'est donc pas un luxe, mais un besoin réel qui a une valeur telle qu'aucun montant en dollar ne peut exprimer.

Tout comme l'éditorialiste François Cardinal, je suis d'avis que votre projet de développement au coeur du Corridor forestier montérégien et en pleine ceinture verte métropolitaine est «indéfendable». Il constitue un affront direct au Plan métropolitain d'aménagement (PMAD) et à tous les avis scientifiques indépendants obtenus sur l'importance de protéger intégralement un tel environnement. Pour toutes ces raisons, je vous invite à faire volte-face.

Nous sommes tous, à un moment ou à un autre de notre vie, appelé à poser des gestes qui surpassent notre intérêt individuel au bénéfice de la collectivité. Votre parcours et l'importance des fonctions que vous occupez aujourd'hui en appellent à un tel geste. Rétrocéder ce terrain à des fins de conservation, tout en étant compensé financièrement, témoignerait de votre respect de ce qu'il reste à protéger de notre environnement. L'indifférence des uns et des autres et l'impression d'insignifiance des gestes individuels posés sont à l'origine de l'état actuel d'épuisement de la planète. Vous avez le pouvoir de faire une différence en donnant un exemple que nous souhaiterions voir répété.

C'est aujourd'hui que nous choisissons ce que sera demain.