Comme à chaque fin du mois de décembre, les revues de l’année pullulent. Tandis que certains revisitent les évènements marquants de l’année qui s’achève, d’autres préfèrent s’attarder à ses zones d’ombre. Pour ma part, je retiens que 2022 a définitivement réfuté mes prédictions naïves de mars 2020.

À l’époque, je me faisais la réflexion, comme plusieurs, qu’au sortir de cette crise, nous aurions droit à une période d’allégresse semblable aux années folles.

Que dire ?

Visiblement, notre métamorphose collective ne s’est pas conformée à mes hypothèses…

Néanmoins, une chose est claire : la pandémie nous a tous profondément changés.

Pour le meilleur, en nous recentrant sur l’essentiel et, pour le pire, en exacerbant la démesure et l’atomisation.

Les nombreux débordements de violence aux abords des terrains sportifs figurent parmi les nouvelles de 2022 que nous avons vu sombrer dans l’oubli comme autant de faits divers épars, vite consommés, vite rejetés.

À l’instar de canaris dans la mine, les échos liés à ces dérapages auraient dû sonner l’alarme.

La foule en liesse a beaucoup trop rapidement cédé le pas aux incivilités. Sous nos yeux incrédules, certains supporteurs du U8 local se sont mutés en hooligans.

Ces incidents démontrent que la pandémie a amenuisé notre capacité à demeurer composés, à prendre le dessus de nos pulsions, à maîtriser nos bas instincts.

Cela s’observe d’ailleurs autant dans l’arène sportive que publique. La hargne débridée entre opposants et envers les décideurs en témoigne.

En outre, les algorithmes qui guident nos vies à la fois virtuelles et réelles harnachent et décuplent cette acrimonie.

Résultat : plusieurs, atteints d’une forme d’hybris que les Grecs auraient sévèrement condamnée, semblent convaincus de posséder la licence d’agir comme ils veulent.

Le compas moral tourne à vide.

De nos jours, plus personne ne parle des vertus cardinales qui sentent les boules à mites. Et pourtant, l’une d’elles gagnerait sans doute à être dépoussiérée et réhabilitée : la tempérance.

Attention : non pas la tempérance entendue comme la consommation modérée d’alcool, quoiqu’indiquée, mais plutôt la capacité à tempérer ses esprits, à restreindre ses ardeurs.

Traiter les autres comme nous aimerions être traités… La règle d’or millénaire n’a rien de sorcier ou de révolutionnaire, mais dans un monde sécularisé, il est de notre devoir à tous d’incarner ce principe, de montrer l’exemple.

D’une étrange manière, ce déficit de tempérance est lié à un second « changement social dramatique » révélé au grand jour en 2022, en l’occurrence, la baisse notoire d’appétit social.

L’exultation de renouer avec la vie sociale, que plusieurs anticipaient, ne s’est pas avérée.

Au contraire.

La tendance au repli sur soi, déjà présente avant la pandémie, s’est solidement ancrée dans la durée.

L’habitude sociale s’est perdue. Les interactions humaines paraissent plus compliquées, moins naturelles.

D’où les réactions démesurées et l’attrait croissant de ce que Bruckner appelle le renoncement.

Normal.

Après tout, nous avons tant chanté les louanges de la bulle et du mou. Ajoutons à cela la montée du télétravail, l’éventail infini des divertissements en ligne et la possibilité de pratiquement tout faire sans sortir de chez soi et nous obtenons une tempête parfaite. Certes, ces changements ont entraîné d’indéniables avantages en matière d’équilibre, mais quelque chose d’essentiel s’est également perdu dans l’équation.

L’isolement nous surplombe, en épée de Damoclès.

Sachant l’impact majeur que revêtent les interactions humaines sur la santé mentale et physique d’une espèce éminemment sociale comme la nôtre, inutile de préciser qu’il importe d’agir.

À la veille du jour de l’An, la tradition veut d’ordinaire que chacun se fixe des résolutions individuelles. Pour 2023, pourquoi ne pas faire différent ? À la manière du Petit Prince et du renard, souhaitons-nous de prendre le temps nécessaire pour nous réapprivoiser.

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