Il se passe actuellement dans les cours d'écoles secondaires un phénomène inquiétant qui pourrait se transformer en véritable crise de santé publique. Et pourtant, le gouvernement ferme les yeux...

Alors qu'on pensait naïvement que les taux de tabagisme étaient appelés à baisser continuellement avec le temps, de plus en plus d'indices montrent que l'inverse pourrait bien se produire.

Car contre toute attente, la nicotine fait un retour de manière insidieuse dans la vie des ados. Pire, la nicotine est redevenue cool dans les cours d'école...

Le problème, il a un nom : vapotage.

Il s'agit de ces cigarettes électroniques vantées pour leur capacité à réduire la dépendance au tabagisme.

Or derrière ces produits à l'apparence inoffensive, voire sanitaire, se cache un phénomène en explosion qui est actuellement sous-estimé par les parents et les gouvernements : leur immense popularité auprès des élèves du secondaire.

Une popularité qui transforme des dispositifs censés réduire la dépendance à la cigarette chez les adultes... en outil d'introduction à la nicotine pour les plus jeunes.

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Si vous avez des adolescents à la maison, demandez-leur s'ils connaissent la Vype et surtout, la Juul. Demandez-leur à quel point ces systèmes d'administration de puissantes doses de nicotine sont populaires autour d'eux.

Vous comprendrez bien vite à quel point ces dispositifs sont répandus. Surtout ceux de nouvelles générations, en forme de clé USB, alimentées par des liquides aux sels de nicotine, qui offrent une expérience proche de celle d'une véritable cigarette.

On retrouve ces produits commercialisés par les géants du tabac dans les parcs, dans les cours d'école, et même dans les classes en raison de leur grande discrétion. Les jeunes sont clairement attirés par l'emballage attrayant de ces produits, par la possibilité de les personnaliser avec des « skins » et des images ludiques, par leur popularité sur les réseaux sociaux et par leurs parfums attrayants comme mangue et concombre.

Et pourtant, ces dispositifs de vapotage, dans lesquels on insère un « pod » équivalant à un paquet de cigarettes, sont « conçus pour produire un effet nicotinique plus puissant », selon la codirectrice de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, Flory Doucas.

Plutôt inquiétant en cette Semaine pour un Québec sans tabac quand on connaît l'effet passerelle : les jeunes qui vapotent sont quatre fois plus susceptibles de consommer la cigarette plus tard...

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Comment réagit le gouvernement fédéral, qui a compétence en matière de santé publique ? Il ferme malheureusement les yeux.

Santé Canada dit suivre la situation, mais sans plus. Et ce, même si de plus en plus d'experts américains parlent d'une véritable « épidémie ». Et même si la Food and Drug Administration (FDA) a décidé d'attaquer la Juul de front ces derniers mois, en notant son immense popularité auprès des adolescents et le fait qu'elle accapare 75 % du marché du vapotage.

La FDA a ainsi agi avec rapidité en faisant un premier geste : elle a interdit la vente des cartouches aromatisées dans les dépanneurs, sachant que 81 % des jeunes qui essayent les cigarettes électroniques sont d'abord attirés par les parfums ludiques du genre gomme balloune et crème brûlée.

Pour sa part, l'entreprise Juul Labs, qui appartient en partie au géant américain du tabac Altria Group (propriétaire de Marlboro), a si peur d'une législation sévère qu'elle a choisi d'agir elle aussi de son côté en fermant notamment ses comptes Instagram et Facebook, prisés des jeunes.

Au Canada ? On a bien une loi adoptée en mai 2018, mais elle est plutôt lénifiante et permissive en plus d'être déjà dépassée. Et le gouvernement Trudeau ne juge pas nécessaire de la resserrer parce que, note-t-il, on « n'a pas connu ici un pic semblable » aux États-Unis.

Sur quelles données se base-t-il pour arriver à cette surprenante conclusion ? Une étude publiée l'an dernier qui s'appuie sur une enquête menée en 2017 ! Alors que la Juul a été introduite au pays en septembre 2018 !

Or il suffit de parler à des directions d'écoles ici au Québec ou à des experts comme David Hammond, professeur à la Chaire de recherche en santé publique appliquée de l'Université de Waterloo, pour comprendre que le phénomène suit les tendances américaines, même si c'est avec un certain retard.

« Tout a changé dans les 12 derniers mois, confie M. Hammond à La Presse. J'ai mené une étude un mois avant l'introduction de Juul, puis un mois après. Les données ne sont pas encore publiées, mais je peux vous dire une chose : la hausse récente de popularité du produit chez les jeunes est tout simplement phénoménale ! »

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La moindre des choses pour le fédéral, qui a bel et bien en main les résultats de l'étude de David Hammond, serait de se faire rassurant et proactif. Surtout que la loi québécoise sur le vapotage est actuellement contestée devant les tribunaux et rien ne dit qu'elle en sortira indemne.

À Ottawa d'agir, donc, et rapidement quand on voit la vitesse avec laquelle le phénomène se répand au sud de la frontière.

« Le fédéral joue malheureusement à l'autruche, déplore Mme Doucas, de la Coalition pour le contrôle du tabac. Il était sur la bonne voie lorsqu'il a décidé d'adopter une loi l'an dernier. Mais maintenant qu'il est clair qu'elle n'est plus adaptée, il refuse de bouger. »

Bien sûr, l'enjeu est difficile à aborder, car les cigarettes électroniques plaisent aux jeunes, mais elles s'adressent d'abord et avant tout à un public adulte. Et elles sont plus utiles que les timbres et la gomme pour cesser de fumer.

En même temps, on doit se demander collectivement si le marché permissif actuel n'entraîne pas plus d'effets négatifs que positifs. Si une réglementation plus stricte n'est pas déjà nécessaire pour les emballages et la publicité. Et s'il ne faut pas distinguer légalement les dispositifs qui offrent des doses de nicotine plus fortes des cigarettes électroniques génériques.

On doit se demander, autrement dit, s'il est toujours pertinent de vendre des Juul au parfum de mangue et de concombre au dépanneur du coin.

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