Parmi les effets possibles des champignons magiques, on retrouve une perception déformée de la réalité, la confusion et la désorientation, un nouveau regard sur certaines choses ainsi qu’une tendance à l’introspection.

On peut dire que l’ouverture (et la fermeture subséquente) d’une boutique de la chaîne Funguyz sur la rue Ontario, à Montréal, nous aura fait vivre tout cela cette semaine.

Décryptons ici les effets de cet évènement déroutant.

Altération de la réalité

Cet aspect, les propriétaires de la chaîne qui vend des champignons magiques et autres produits comestibles psychédéliques l’ont eux-mêmes mis de l’avant.

« On ne vend pas à des fins récréatives ; on se concentre sur l’objectif thérapeutique » avait dit l’un des copropriétaires à La Presse avant d’ouvrir sa boutique montréalaise.

Ah oui : le rire figure aussi parmi les effets possibles de la psilocybine, l’ingrédient actif des champignons magiques. Parce qu’il faut bien dire que les affirmations de Funguyz ne sont pas très sérieuses. Déjà, ses prétentions médicales seraient moins farfelues si le nom de la bannière ne commençait pas par « Fun »…

Oui, l’utilisation des drogues psychédéliques en psychologie et en psychiatrie fait l’objet d’un nouvel élan de recherche. Anxiété, dépression, dépendance, troubles obsessionnels compulsifs : les études portent encore sur un nombre restreint de patients, mais le potentiel de molécules comme la psilocybine et la MDMA (l’ingrédient actif de l’ecstasy), en combinaison avec la psychothérapie, est de mieux en mieux documenté.

Depuis janvier 2022, Santé Canada autorise certains patients à consommer de la psilocybine ou de la MDMA à des fins médicales. Ceux qui obtiennent cette autorisation sont essentiellement des malades en fin de vie cherchant à atténuer leur angoisse ou des patients souffrant d’anxiété ou de dépression chez qui les autres thérapies ont échoué.

PHOTO RYAN REMIORZ, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Un client de la boutique Funguyz montre ses achats peu de temps après l’ouverture du commerce, mardi à Montréal.

Ces patients n’ont aucunement besoin de Funguyz pour s’approvisionner : ils ont accès à de la psilocybine de qualité médicale auprès de fournisseurs approuvés par Santé Canada.

Ce programme canadien est audacieux et il faut le saluer. Mais il est aussi lourd en paperasse, difficile d’accès et n’a bénéficié pour l’instant qu’à environ 140 patients.

Devant ce goulot d’étranglement, Funguyz se présente comme une solution de rechange. C’est très douteux. Ses produits ne sont pas vérifiés comme ceux des fournisseurs approuvés. Surtout, les patients peuvent s’y procurer des champignons, mais pas la thérapie essentielle qui doit accompagner la prise de la substance.

On ne conseillera jamais assez à ceux qui cherchent des solutions à leurs problèmes psychologiques de pousser la porte d’un cabinet de professionnels plutôt que celle d’une boutique à la façade placardée de champignons rose et mauve.

Si on veut démocratiser l’accès à la psilocybine pour les patients, c’est le modèle de Santé Canada qu’il faut promouvoir, élargir et assouplir. Pas celui, commercial, de Funguyz.

Confusion et désorientation

L’ouverture d’une boutique de champignons qui font triper place les autorités dans une position délicate. D’un côté, il est normal que la Ville de Montréal cherche à faire respecter les lois en vigueur. De l’autre, on peut se demander à quel point on veut consacrer des efforts à cette seule boutique.

Ailleurs au pays, Funguyz a rouvert ses magasins après les saisies et les arrestations. Dans ce jeu de celui qui se tannera le premier, la chaîne a montré qu’elle est persévérante.

Le grand paradoxe est que pendant que la police s’attaque à la boutique physique, il est très facile de se procurer champignons, microdoses et autres jujubes à la psilocybine sur le web… y compris sur le site de Funguyz. Rappelons aussi que le Québec est frappé par une crise des surdoses autrement grave que ce qui se passe avec ces vendeurs de champignons. Des solutions existent (tests de drogue, approvisionnement sûr) et on aimerait voir les autorités les déployer à grande échelle avec la même célérité qu’elles ont mise à effectuer des descentes chez Funguyz.

Introspection

Les champignons magiques peuvent favoriser l’introspection, et les consommateurs affirment souvent bénéficier d’un nouveau regard sur certains aspects de leur vie après en avoir consommé.

De la même façon, l’arrivée de Funguyz dans le paysage force des questions qu’on aurait tort d’évacuer, notamment au sujet de la décriminalisation des drogues.

Cette semaine, quatre personnes ont été arrêtées entourant l’ouverture de Funguyz et au moins une femme fait l’objet d’accusations criminelles. On peut se demander si ça vaut la peine de miner la vie de citoyens pour des « crimes » qui ne font souvent pas de victimes, en particulier pour possession simple.

Nous avons déjà plaidé dans ces écrans pour la décriminalisation des drogues – une position notamment partagée par la Ville de Montréal et son service de police, par l’Association canadienne des policiers et par l’Organisation mondiale de la santé.

Lisez l’éditorial « Décriminalisation des drogues : une surdose n’est pas un crime »

Comme ç’a été le cas pour le cannabis, on sait déjà que la répression n’aura pas raison de l’engouement pour les substances psychédéliques. À moins de prendre enfin le virage de l’information, de la sensibilisation et de la réduction des méfaits, on continuera à en voir de toutes les couleurs.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion