L’amour est sans pitié, chante Jean Leloup.

C’est peut-être vrai. Mais ce qu’on constate aussi, désormais, c’est que la révolution numérique est sans pitié pour les artistes d’ici qui chantent en français comme lui.

Et ces artistes ont besoin qu’on leur prête main-forte de toute urgence.

La plus récente preuve de l’ampleur de la crise nous a été offerte par Le Devoir cette semaine.

Un de leurs journalistes a consulté le palmarès des 100 morceaux les plus écoutés au Québec sur les diverses plateformes. Il a constaté qu’on n’y trouve aucune chanson francophone.

AUCUNE.

Les titres québécois les plus écoutés sont ceux du duo formé de FouKi et Jay Scott (Copilote) et des Cowboys Fringants (L’Amérique pleure). Ils se retrouvent respectivement en 113e et 157e places.

On ne parle pas ici d’un palmarès des chansons écoutées à la grandeur du pays. Le classement représente uniquement les écoutes au Québec. C’est atroce.

Et ça l’est encore plus quand on constate que ce n’est pas une exception. C’est la règle.

PHOTO DENIS GERMAIN, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Les Cowboys Fringants, au Gala de l’ADISQ 2022. En 157e place, leur pièce L’Amérique pleure est la deuxième chanson québécoise la plus écoutée sur les plateformes numériques.

Notre journaliste Alexandre Vigneault s’était prêté à un exercice similaire l’automne dernier. Il y avait, à l’époque, une seule chanson en français dans le top 100 des pièces les plus écoutées à Montréal sur Spotify – c’était également la pièce Copilote.

Le verdict est accablant : la survie de l’industrie musicale québécoise est menacée.

Quiconque a le sort de la langue française et de la culture québécoise à cœur a de très bonnes raisons de s’inquiéter. C’est une très mauvaise nouvelle pour l’une et pour l’autre si la relève musicale au Québec est tuée dans l’œuf par la désinvolture des géants du numérique à son égard.

Dans un mémoire rédigé en avril dernier à l’occasion de la consultation de la CAQ sur l’avenir de la langue française, l’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ) souligne avec éloquence ce qui est en jeu.

« Si notre patrimoine musical a été important dans la construction de notre identité et la défense de notre langue, son renouvellement l’est tout autant. Aujourd’hui encore, nos artistes, en mettant en chanson des histoires qui nous ressemblent, dans notre langue, occupent un rôle social fondamental. De jeunes artistes comme Roxane Bruneau, Hubert Lenoir, FouKi, Émile Bilodeau ou Ariane Roy chantent à leur tour, avec talent, des histoires qui nous racontent et nous rassemblent. »

Les artistes québécois raflent toujours une part importante des ventes d’albums physiques. Le problème, c’est qu’il s’en achète de moins en moins.

Six Québécois sur dix utilisent désormais un service d’écoute en ligne. En 2022, ils ont écouté plus de 87 % de musique anglophone et uniquement 5 % de musique d’artistes francophones du Québec. Un véritable naufrage.

Après avoir passé de trop nombreuses années à regarder le bateau couler sans réagir, Ottawa et Québec ont compris que prier nos musiciens de sécher leurs pleurs ne suffit pas.

Le gouvernement libéral a enfin pu faire adopter le projet de loi C-11 à Ottawa – il a reçu la sanction royale en avril. La Loi sur la diffusion continue en ligne devrait permettre à la fois de forcer les plateformes à mettre les artistes d’ici en valeur et les obliger à contribuer financièrement au contenu canadien.

Des consultations du CRTC à ce sujet viennent de débuter et devraient mener, à la fin de l’année 2024, à la mise en œuvre du règlement qui encadrera les pratiques des grands acteurs du numérique en tentant de corriger les injustices dont leurs algorithmes sont responsables.

Le diable est dans les détails, bien sûr, mais il y a de quoi faire preuve d’optimisme. Permettons-nous de rêver mieux… sans toutefois penser que le problème va se régler du jour au lendemain.

À Québec, on a d’ailleurs déjà laissé entendre qu’il faudra aller plus loin pour protéger notre industrie musicale. Le ministre de la Culture du Québec, Mathieu Lacombe, dans la foulée de l’adoption du projet de loi C-11, a parlé d’un « premier pas significatif ». Mais il a aussi promis de « faire plus ».

Depuis, il s’est entre autres doté d’un groupe d’experts dans le but d’identifier des moyens de faire davantage de place au contenu québécois sur les plateformes des gros mammouths du numérique.

Là encore, attendons de connaître les résultats de cette initiative avant d’ouvrir le champagne.

Ne boudons tout de même pas notre plaisir. Des bouées de sauvetage vont être lancées bientôt, tant par Ottawa qu’à Québec, à un milieu culturel qui en a grandement besoin.

Invitons nos élus à en offrir suffisamment pour empêcher l’évaporation de notre industrie musicale.

Mais ne croyons pas non plus que c’est aux politiciens de tout régler. Efforçons-nous, collectivement, de faire un pied de nez aux géants du numérique qui enfouissent nos artistes au plus profond de leurs plateformes. Sortons de l’oubli la musique d’ici !

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