C’est un chiffre à lire en prenant son temps, pour être bien sûr d’en saisir toute la portée : il y a eu 135 839 signalements à la direction de la protection de la jeunesse (DPJ) au Québec pour l’année 2022-2023.

Ça représente environ un signalement pour dix enfants à travers la province. C’est à la fois choquant et désespérant.

C’est la preuve que trop de jeunes – et de familles – vont mal.

C’est aussi la preuve de l’échec du système, qui ne parvient pas à soulager toute la détresse à laquelle nous sommes confrontés.

Et c’est enfin la preuve que les abus et mauvais traitements subis par nos jeunes ne sont pas encore reconnus à Québec comme un problème de société assez sérieux.

Le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, avance dans la bonne direction. Sur le terrain, on nous dit qu’il est engagé pour le sort des jeunes, accessible et à l’écoute des préoccupations des divers acteurs du milieu.

Malgré toute sa bonne volonté, toutefois, la situation continue de se détériorer.

Alors force est de constater qu’il ne va pas assez vite, pas assez loin, et ne lutte pas assez fort pour faire changer les choses.

Il y a de nombreux problèmes qui accablent la DPJ.

Lors de la récente conférence de presse tenue pour présenter le bilan annuel des directeurs de la protection de la jeunesse, on a appris qu’il manquait 31 intervenants à l’évaluation et à l’orientation sur 101 au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.

Or, ces intervenants (notamment des travailleurs sociaux et des psychoéducateurs) jouent un rôle fondamental. Leurs équipes forment la porte d’entrée de la DPJ.

La situation est encore pire pour le CIUSSS de l’Ouest-de-l’île-de-Montréal. « Sur 39, j’en ai juste 20 de comblés. Il en manque 19, la moitié de mon équipe », a expliqué la directrice de la protection de la jeunesse Linda See.

Il y a un lien de cause à effet entre le nombre record de signalements, cette pénurie d’intervenants et la liste d’attente à l’évaluation qui s’allonge dans la région métropolitaine. Et il y a fort à parier que le portrait est sensiblement le même ailleurs au Québec.

La Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, dirigée par Régine Laurent, avait accouché d’un rapport inspirant il y a deux ans. On y sommait notamment le gouvernement de revoir la tâche des intervenants et de leur offrir un meilleur soutien. Les démarches à ce sujet piétinent.

On tente de réorganiser le travail, semble-t-il. Sans grand succès sur l’attraction ou la rétention du personnel, visiblement. Comment se fait-il, notamment, qu’on ne puisse pas encore autoriser un plus grand nombre de professionnels à faire des évaluations – comme les titulaires d’un baccalauréat ou d’une maîtrise en psychologie ?

Qu’en est-il, par ailleurs, de la création d’un poste de commissaire au bien-être et aux droits des enfants, recommandé par la commission Laurent ?

Le bilan de la CAQ quant à la DPJ, malgré certains progrès indéniables, n’est pas reluisant.

On aurait tort d’analyser les problèmes de la DPJ en vase clos.

Il s’agit d’un miroir dans lequel se voit le reflet – pas toujours très glorieux – de notre société.

C’est en amont qu’il faut intervenir pour faire chuter le nombre de signalements. On doit prévenir au lieu de guérir, autant que faire se peut.

Pour paraphraser Christian Dubé, il faut shaker les colonnes de tout le système.

Selon les experts, il est urgent, entre autres, de créer davantage de places en CPE, d’offrir beaucoup plus de services pour les élèves à besoins particuliers dans nos écoles et de fournir plus de logements abordables pour les familles.

En somme, si le gouvernement caquiste veut véritablement aider les jeunes les plus vulnérables, il devra cesser de se contenter de demi-mesures. L’heure est venue d’aller plus loin, plus vite, plus fort.

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