La pelle est un outil fort utile pour les politiciens. En cas de tempête, il s’agit de pelleter les problèmes en avant et d’attendre qu’ils fondent d’eux-mêmes comme la neige lors d’un week-end pascal ensoleillé.

Parlez-en à Justin Trudeau qui a utilisé cette technique éprouvée lorsqu’on l’a accusé d’avoir fait pression pour éviter des poursuites à SCN-Lavalin ou lorsqu’on a dénoncé les liens entre son entourage et l’organisme WE Charity, à qui Ottawa avait confié un énorme contrat.

Le temps a passé. La grogne a fondu. Et les électeurs sont passés à un autre appel.

Mais l’ingérence alléguée de la Chine dans les élections fédérales de 2019 et 2021 est un enjeu bien trop fondamental pour que le gouvernement le repousse en espérant qu’il s’évapore.

C’est pourtant ce que le premier ministre a fait en nommant un « rapporteur spécial indépendant » afin de déterminer s’il faut mener une enquête publique, alors que cela ne fait pas l’ombre d’un doute, tout le monde s’entend là-dessus.

La réaction du premier ministre banalise une situation très grave. En cherchant à gagner du temps, il érode la confiance de la population, sans compter que le choix de l’ancien gouverneur général David Johnston comme rapporteur soulève aussi des doutes à cause de sa proximité avec la famille Trudeau.

Or, la confiance dans le processus électoral est le lubrifiant essentiel de notre démocratie. Un lubrifiant qui fait cruellement défaut aux États-Unis où le clivage est extrême. C’était particulièrement flagrant cette semaine avec l’inculpation de Donald Trump qui a réussi à convaincre une part considérable de la population qu’on lui a volé l’élection.

On n’en est pas là au Canada. Nous avons la chance d’avoir une démocratie plus saine que celle de nos voisins. Le Canada se classe même en 12e position parmi les démocraties les plus solides au monde, selon l’indice du groupe The Economist, loin devant les États-Unis (30e), rétrogradés au rang de « démocratie imparfaite ».

Mais il faut prendre garde à la dérive, car de moins en moins de Canadiens – à peine 43 % selon le baromètre Edelman – font confiance aux dirigeants gouvernementaux, qu’ils perçoivent comme des moteurs de division.

Ces clivages qui fragilisent nos démocraties font la joie des dictatures étrangères qui veulent étendre leurs tentacules à travers le monde.

Sur le plan politique, le président chinois cherche à élargir son influence en se donnant le beau rôle, celui d’un homme de paix. En mars, il jouait le rôle de médiateur entre l’Iran et l’Arabie saoudite… pourtant alliée traditionnelle des États-Unis. Cette semaine, il rencontrait le président français Emmanuel Macron, en quête d’une solution au conflit en Ukraine. Mais en négociant avec la France, Xi Jinping veut aussi éloigner l’Europe des Américains… avec qui la tension monte à propos de Taiwan.

PHOTO JACQUES WITT, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le président chinois, Xi Jinping, et son homologue français, Emmanuel Macron, lors de la visite officielle de ce dernier en Chine, vendredi

Sur le plan économique, la Chine a déjà rehaussé son ascendant sur l’Europe, en faisant la cour aux pays plus faibles. Voyez sa stratégie : alors que la Grèce, écrasée par les dettes, se voyait imposer de douloureuses mesures d’austérité par l’Union européenne, la Chine a fait des investissements considérables pour restaurer le port d’Athènes dont elle avait pris le contrôle en 2016.

Peu après, la Grèce – pourtant le berceau de la démocratie – a utilisé son veto pour empêcher l’Union européenne de dénoncer aux Nations unies les violations des droits de la personne par la Chine, relate Joanna Chiu, dans son ouvrage La Chine et le nouveau désordre mondial.

Cette « diplomatie du chéquier » était cousue de fil blanc.

Dans bien d’autres cas, la Chine travaille en souterrain. Au Canada, elle s’infiltre sournoisement dans nos universités, nos entreprises… quand elle ne se permet pas de faire voler des ballons au-dessus de nos têtes ou de jouer à la police sur notre territoire.

L’ingérence du Parti communiste chinois est devenue « la plus lourde menace stratégique pour la sécurité nationale du Canada », selon le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS).

Et que fait Ottawa ? Trop peu, pour ce qu’on en sait.

En mars, le gouvernement a annoncé des consultations pour développer un registre auquel toutes les personnes qui agissent au nom d’intérêts étrangers seraient obligées de s’inscrire. Bonne nouvelle. Cela améliorerait la transparence. Mais ce n’est pas suffisant.

D’autres mesures pour renforcer les garde-fous contre l’ingérence étrangère auraient été présentées au cabinet l’été dernier, nous apprenait le Globe and Mail cette semaine. Mais il n’y a toujours rien de concret à l’horizon, malgré la menace bien réelle.

Cessons d’être naïfs. Il faut moderniser nos lois, les adapter à la nouvelle géopolitique et aux nouvelles technologies.

Inspirons-nous de l’Australie qui a pris les grands moyens après avoir été ébranlée par un scandale d’ingérence de la Chine qui a payé les dépenses d’un politicien en 2017. La principale leçon à retenir ? Tous les partis politiques doivent se serrer les coudes et mettre de côté la partisanerie.

Alors, monsieur Trudeau, rangez votre pelle. Le printemps est arrivé. Il faut se retrousser les manches et développer un nouveau coffre à outils pour renforcer les remparts de notre démocratie.

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