Il y a des décès plus prévisibles et plus évitables que d’autres.

C’est le cas de la mort de Maureen Breau, cette policière et mère de famille poignardée la semaine dernière à Louiseville.1

C’est aussi le cas de la mort du suspect, Isaac Brouillard Lessard, un homme de 35 ans malade et violent, abattu ensuite par les policiers.

Ces deux décès étaient non seulement écrits dans le ciel, mais aussi pratiquement annoncés noir sur blanc dans des documents officiels.

La Commission d’examen des troubles mentaux chargée d’évaluer M. Brouillard Lessard écrivait être « convaincue que l’accusé représente toujours, en raison de son état mental, un risque important pour la sécurité ».

Elle se disait également « convaincue de la probabilité que l’accusé s’engage dans un comportement criminel entraînant des préjudices physiques ou psychologiques qui […] puisse[nt] être grave[s] ».

Pour prédire l’avenir, on peut dire que la Commission a fait un excellent travail. Mais pour en prévenir les funestes conséquences, elle a lamentablement échoué. Car malgré les risques connus et documentés, malgré ses nombreuses récidives violentes, M. Brouillard Lessard était en liberté.

PHOTO FOURNIE PAR LA SÛRETÉ DU QUÉBEC, ARCHIVES LA PRESSE

La policière Maureen Breau a été poignardée à mort le 27 mars dernier, à Louiseville. Le suspect, Isaac Brouillard Lessard, a ensuite été abattu par les policiers.

Cela soulève des questions pressantes, surtout que le cas n’est pas unique. L’été dernier, un homme souffrant de problèmes de santé mentale et lui aussi identifié comme représentant un « risque important pour la sécurité du public » a présumément tué trois personnes à Montréal.

Cette affaire touche à un enjeu difficile : que faire avec les gens qui commettent des crimes, mais qui ne peuvent pas en être tenus responsables à cause de leurs problèmes mentaux ?

La prison n’est pas leur place. S’ils représentent un danger trop grand pour la société, ils doivent être placés en institution. Sinon, ils peuvent être libérés sous certaines conditions, par exemple un suivi psychiatrique étroit.

C’est la Commission d’examen des troubles mentaux, un tribunal administratif québécois, qui tranche ces questions.

Des cas comme celui d’Isaac Brouillard Lessard montrent que des individus pourtant identifiés comme dangereux sont soit libérés trop facilement, soit mal suivis une fois libérés.

Comment empêcher d’autres drames ? Malheureusement, Québec et Ottawa se renvoient la balle au lieu de proposer des solutions.

Québec affirme que la Commission d’examen des troubles mentaux doit baser ses décisions sur le Code criminel. Pour resserrer les critères de libération, estime Québec, il faudrait donc revoir le Code criminel, une responsabilité fédérale.

Les provinces ont d’ailleurs fait pression sur Ottawa dans un dossier similaire : celui des libérations sous caution. On ne parle pas ici de gens souffrant de troubles mentaux, mais d’individus libérés en attente de leur procès.

De tels individus ont eux aussi commis des crimes pendant ces libérations. En janvier dernier, les premiers ministres des 13 provinces et territoires ont écrit au ministre fédéral de la Justice, David Lametti, pour réclamer un resserrement des règles de libération. Ce dernier a promis de s’y pencher.

PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre fédéral de la Justice, David Lametti

À Québec, on nous dit que la discussion concerne la libération de toute personne posant un risque pour la société, y compris les gens reconnus criminellement non responsables pour cause de troubles mentaux.

Autre son de cloche à Ottawa, qui jure que les demandes des provinces concernent uniquement les libérations des individus en attente de leur procès.

Ce ping-pong est navrant. Nous invitons chaque ordre de gouvernement à déposer sa raquette et à examiner ce qui peut être fait, dans ses propres champs de compétence, pour améliorer la sécurité du public, des intervenants de première ligne et des gens souffrant de problèmes de santé mentale eux-mêmes.

L’Ordre des criminologues du Québec estime par exemple que la Commission d’examen des troubles mentaux pourrait tenir davantage compte des « besoins criminogènes » des patients évalués, comme leur toxicomanie ou leurs relations avec des criminels, plutôt que de considérer uniquement leur santé mentale dans sa décision.

Québec doit aussi examiner si, une fois un individu libéré sous conditions, les ressources sont suffisantes pour le suivre de façon adéquate.

Quant au fédéral, on a vu qu’il s’est montré ouvert à modifier le Code criminel pour resserrer les libérations des gens en attente de leur procès. Dans la foulée, il pourrait examiner si des changements semblables pourraient aider à resserrer la libération des individus souffrant de troubles mentaux ayant commis des crimes.

Les morts de Maureen Breau et d’Isaac Brouillard Lessard doivent provoquer des changements.

1. Lisez l’article « Policière tuée en service : le suspect avait été remis en liberté malgré un “risque important” pour le public » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion