Sur le crime, je ne suis pas de l’école américaine. Je crois à la réhabilitation. Et plus les coupables sont jeunes, plus on devrait les encadrer, leur donner une chance de se racheter. Bref, je ne suis pas Ronald Reagan.

Vous sentez venir le « mais » ?

Il arrive…

Mais les multirécidivistes violents, les abonnés aux arrestations et aux condamnations et aux verdicts de non-responsabilité criminelle, il va falloir un jour qu’on cesse collectivement de les regarder avec des lunettes roses.

Parlez-en à Maureen Breau.

En fait, non, vous ne pouvez pas lui en parler : la policière de la Sûreté du Québec est morte à cause de ces lunettes roses1.

L’agente Breau, mère de deux enfants, a payé de sa vie notre laxisme collectif face aux récidivistes violents, lundi, lors d’une intervention tragique à Louiseville, en Mauricie.

Son meurtrier, Isaac Brouillard Lessard, était un membre en règle de ce club des violents irrécupérables. Il y a quelques années, il a cassé la gueule de son concierge, héritant de (seulement) 200 heures de travaux communautaires. Il a aussi hérité de quelques verdicts de non-responsabilité criminelle, parce qu’il n’avait pas toute sa tête au moment de ses explosions sanglantes : il a notamment attaqué sa psychiatre en 2018.

Il y a un an, la Commission d’examen des troubles mentaux (CETM), l’instance qui décide du sort des personnes qui ont été jugées non criminellement responsables de leurs actes, considérait que Brouillard Lessard représentait un « risque important pour la sécurité du public », notant qu’il ne se considérait pas comme malade et refusait de prendre ses médicaments.

Sa consommation de drogues amplifiait sa propension à la violence.

Mais la Commission d’examen des troubles mentaux l’a quand même laissé sortir. Je précise qu’à la Commission, personne ne parle pour le public, quand on débat du sort d’un malade qui a commis des gestes violents.

Je cite encore la décision de la Commission d’examen des troubles mentaux pour justifier l’élargissement de Brouillard Lessard : « Ce risque est adéquatement contrôlé si la libération de l’accusé est assujettie à un suivi et un encadrement appropriés. »

Ici, je pousse un énorme soupir de dépit…

D’abord, le système de santé mentale est plein de trous. C’est une vue de l’esprit d’espérer que des personnes violentes comme Brouillard Lessard puissent recevoir « un suivi et un encadrement appropriés » dans ce système.

Ensuite, même quand il y a une forme de suivi, on sait que les équipes traitantes n’osent pas toujours dénoncer une entorse aux conditions. Et on sait que ces équipes perdent parfois la trace des malades !

En lisant la décision de février 2022 concernant la remise en liberté de Brouillard Lessard, la présidente de l’Ordre des criminologues, Josée Rioux, a eu ces mots en entrevue à La Presse2 : « Pour moi, c’était une lumière rouge… »

Euh, je sais pas ?

Une fois dehors, comme tant d’autres comme lui, Isaac Brouillard Lessard a bien sûr recommencé à consommer et il est bien sûr redevenu violent avec autrui. Avant de tuer la policière Breau, fraîchement débarquée dans son immeuble de logements, il a commencé à terroriser ses nouveaux voisins, fidèle à ses habitudes (le meilleur prédicteur de la violence future étant la violence passée). Peu après son arrivée, Brouillard Lessard s’est battu avec un de ses voisins. Dans le bloc, on l’évitait, on en sortait par une porte dérobée pour ne pas le croiser, lui, le fou…

Pensez à ça, pensez à la boule dans le ventre de tous ceux qui ont pu croiser la route de Brouillard Lessard depuis plusieurs années. Pas grave, selon la CETM : il est apte à sortir, cher public !

Je souligne un privilège de classe au passage : les types comme Brouillard Lessard ne louent pas d’apparts dans les beaux quartiers où habitent les députés (qui font les lois) et les commissaires de la Commission d’examen des troubles mentaux (qui interprètent les lois) : ceux-là ont statistiquement bien peu de chances de croiser un Brouillard Lessard…

Mais ceux qui doivent habiter coin Saint-Aimé et Saint-Laurent à Louiseville, un quartier pauvre, eux, oui, ils les croisent chaque jour, les types comme Isaac Brouillard Lessard…

Comment ?

Vous n’aimez pas que j’utilise le mot « fou » ?

Vous préféreriez « vulnérable » ?

Désolé, je vais utiliser « fou » pour un type qui ne veut pas se soigner et qui a fait gicler le sang à répétition depuis plusieurs années, merci beaucoup. Les gens « vulnérables », ce sont tous ceux qui, dans le cas de Brouillard Lessard, ont croisé sa route ces dernières années. Parlez-en au concierge qui s’est fait casser la mâchoire à plusieurs endroits par ce gars-là. Parlez-en à l’agente Maureen Breau. Parlez-en à tous ceux qui, c’est sûr, ont été terrorisés par Brouillard Lessard sans jamais porter plainte.

Faisons un détour par Toronto, un instant…

Gabriel Magalhaes, 16 ans, était tout bonnement assis dans une station de métro de Toronto le week-end dernier quand il a été (présumément) poignardé à mort par un autre de ces individus « vulnérables »…

Bang, bang, bang : trois coups de couteau en pleine poitrine, sans avertissement, sans raison. L’adolescent en est mort. Une folie.

Le type arrêté s’appelle Jordan O’Brien-Tobin, un Terre-Neuvien de 22 ans sans domicile connu dont la vie semble être une longue suite de gestes violents, commis dans les Maritimes et en Ontario. Toujours remis en liberté et toujours en train de violer ses conditions de remise en liberté…

Dans le cas d’O’Brien-Tobin, j’ai la même question que par rapport à Brouillard Lessard : pourquoi ce gars-là était-il en liberté ?

Oui, il faut plus de services en santé mentale ; oui, il faut plus de logements pour empêcher les gens de sombrer dans la rue. Oui, il faut aider et espérer que les gens vulnérables vont se raccrocher à la vie et à la société, ne serait-ce qu’au nom de la dignité humaine. J’en suis.

Mais les récidivistes violents, c’est autre chose. Même s’ils sont sans-abri. La journaliste Marie-Pier Bouchard a fait un état des lieux récemment, à l’émission Enquête3, dans un topo où elle évoque le cas d’Abdulla Shaikh – un type au profil similaire à celui de Brouillard Lessard – qui a tué trois inconnus de façon gratuite à Montréal l’été dernier…

Son dossier était plein de lumières rouges, lui aussi.

Alors non, on ne veut pas revenir à l’époque où toute personne jugée mentalement malade était enfermée…

Mais il y a des gens qui ne sont pas récupérables. Et ces gens-là, des fois, ben, ils ne font pas juste casser des gueules : ils tuent.

Parlez-en à Maureen Breau, parlez-en à Gabriel Magalhaes et à tous les autres – ils sont nombreux4 – à avoir été tués par des individus dont on savait qu’ils allaient finir par tuer, parce qu’ils sont hyperviolents, parce que cette violence se décuple quand ils consomment…

Et qu’ils sont incapables de cesser de consommer.

Les lunettes roses, je ne suis plus capable : ça aussi, des fois, ça tue.

1 Lisez l’article du Journal de Montréal 2 Lisez les propos de la présidente de l’Ordre des criminologues, Josée Rioux 3 Lisez le récit numérique réalisé par l’équipe d’Enquête de Radio-Canada 4 Lisez « L’hôpital psychiatrique à ciel ouvert (2) »