Combien faut-il de fonctionnaires pour attraper un troupeau d’une vingtaine de vaches en cavale ?

Au Québec, beaucoup de fonctionnaires.

Et encore, ça ne fonctionne pas : ils se défilent (les fonctionnaires comme les vaches…).

La rocambolesque histoire d’une vingtaine de vaches en cavale en Mauricie divertit le Québec depuis une semaine.

Elle nous montre aussi l’un des travers de notre bureaucratie : le syndrome du « pas dans ma cour ».

Quand les vaches sont aperçues en juillet dernier à Saint-Sévère, la directrice générale de la municipalité, Marie-Andrée Cadorette, veut trouver une façon de les attraper. Les vaches ravagent les récoltes et représentent un danger pour le public aux abords des routes.

Elle appelle d’abord le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ).

On lui répond « pas dans ma cour », on n’a rien pour les capturer. Appelez le ministère de la Faune.

Elle appelle le ministère de la Faune.

On lui répond « pas dans ma cour », ce ne sont pas des animaux sauvages. Appelez la Société de protection des animaux (SPA).

Elle appelle la SPA.

On lui répond d’appeler le MAPAQ. Retour à la case départ. Le MAPAQ lui suggère d’appeler la Sûreté du Québec, qui ne veut pas les abattre (avec raison).

En dernier recours, elle appelle le Festival western de Saint-Tite, qui déniche des cowboys bénévoles. Ceux-ci tentent d’attraper les vaches. Sans succès. Mais au moins, ils ont essayé, eux.

Puis l’histoire sort dans Le Nouvelliste mercredi dernier. L’Union des producteurs agricoles (UPA) et le cabinet du ministre de l’Agriculture, André Lamontagne, en prennent connaissance, et une cellule de coordination est créée. La stratégie : attirer les vaches en les nourrissant à deux endroits stratégiques. En pratique, c’est un agriculteur bénévole, Yves Lamy, vice-président des Producteurs de lait de la Mauricie (UPA), qui passe deux fois par jour pour voir si le plan fonctionne.

Une chose nous chicote dans cette histoire forcément anecdotique : jusqu’à ce que ça sorte dans les médias, les intervenants de l’État québécois (le MAPAQ, le ministère de la Faune) n’ont pas levé le petit doigt pour trouver une solution. Le MAPAQ ne gagnera pas de prix d’initiative dans ce dossier.

Il ne faut pas généraliser à partir d’une seule affaire, aussi divertissante soit-elle.

L’histoire des vaches de Saint-Sévère démontre néanmoins une tendance qu’on voit trop souvent dans l’appareil gouvernemental (autant à Québec qu’à Ottawa) : quand ça ne rentre pas dans les « petites cases » des bureaucrates, désolé, on ne peut rien faire pour vous.

Cette philosophie des « petites cases » existe dans plusieurs ministères, notamment à l’intérieur de ce « mammouth » qu’est le milieu de la santé.

Prenez le cas de Léa Rose, 4 ans, atteinte d’une maladie rare, qui a besoin de l’aide d’une infirmière du CIUSSS la nuit. Quand la famille déménage de Montréal à Laval, elle avertit le CIUSSS quatre mois à l’avance, mais la « machine » ne transfère pas l’infirmière à temps parce que ça « gosse » avec les petites cases, écrit notre collègue Patrick Lagacé.

Lisez la chronique « Un CISSS et un CIUSSS, perdus dans l’espace »

Le danger, c’est quand les « petites cases » et le « pas dans ma cour » prennent tellement d’importance que l’appareil gouvernemental en oublie l’essentiel : les services à la population.

Avec la philosophie des « petites cases », on transforme le fonctionnaire en robot qui ne prend pas de responsabilités ni d’initiative, et qui n’a pas d’« imputabilité ». Quand on le force à respecter les règles à la lettre, coûte que coûte, on l’encourage à laisser son gros bon sens au vestiaire.

Or, un fonctionnaire n’est pas un robot. Il doit avoir la latitude pour prendre des initiatives quand une situation qui sort de l’ordinaire l’exige.

Par exemple, quand une petite municipalité, dépassée par les évènements, vous demande deux fois de l’aider pour attraper des vaches en liberté.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion