Il en va de Rona comme des Expos ou des Nordiques.

Quand une ville perd une grande équipe sportive, elle peut ramer longtemps avant de la ramener chez elle. Demandez à tous ceux qui se démènent depuis des décennies pour le retour d’une équipe de baseball à Montréal ou de hockey à Québec.

Cette semaine, on a eu la preuve qu’il n’est guère plus facile de récupérer le siège social d’un fleuron québécois, comme celui de Rona qui avait été vendu à l’américaine Lowe’s en 2016.

L’occasion de ramener le quincaillier au bercail était là. À portée de main. À prix ridiculement bas. Mais elle nous a filé entre les doigts.

Nous avons appris qu’un consortium d’entreprises du Québec, appuyé par la Caisse de dépôt et placement du Québec, avait présenté une lettre d’intérêt au printemps dernier pour racheter les activités canadiennes de Lowe’s, qui regroupe les enseignes Rona, Lowe’s, Réno-Dépôt et Dick’s Lumber.

Le patron de la Caisse, Charles Emond, est particulièrement bien placé pour comprendre le dossier, lui qui a été le banquier d’affaires de Rona durant de longues années — pour le compte de la Banque Scotia — avant de ficeler sa vente à Lowe’s.

Mais l’entreprise américaine a préféré vendre au fonds d’investissement privé new-yorkais Sycamore pour 400 millions US (environ 530 millions CAN), plus une somme différée en fonction de la performance de l’entreprise. C’est ce qu’on appelle une vente de garage. C’est une fraction du prix stratosphérique de 3,2 milliards CAN que Lowe’s avait payé il y a six ans à peine.

Il est malheureux que personne au Québec ne soit parvenu à mettre la main sur une telle aubaine, surtout quand on sait à quel point les sièges sociaux jouent un rôle crucial pour notre économie.

Pour le superministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, ce n’est que partie remise. Il s’est dit prêt à « travailler avec des Québécois » quand le nouvel acquéreur sera « prêt à revendre » dans « cinq ou sept ans ».

D’accord, mais pourquoi ne pas l’avoir fait immédiatement ? A-t-on dormi au gaz ?

Revenons en arrière pour mieux comprendre.

Dès 2012, Lowe’s avait voulu acheter Rona pour percer le marché canadien et venir y concurrencer son grand rival Home Depot. Mais le gouvernement Charest s’était opposé à cette offre d’achat non sollicitée.

Lowe’s a alors choisi d’ouvrir ses propres magasins au Canada et Rona s’est retrouvé coincé entre deux éléphants aux moyens illimités. La pression était forte. Quatre ans plus tard, l’entreprise a donc accepté l’offre considérablement bonifiée de Lowe’s.

Le gouvernement Couillard a donné sa bénédiction, au grand dam de Pierre Karl Péladeau, alors chef du Parti québécois, qui a descendu la transaction en flammes.

Cela n’a pas empêché la Caisse d’accepter de vendre pour environ 400 millions sa participation dans Rona qu’elle avait payée 200 millions deux ans auparavant. Pour le bas de laine des Québécois, c’était un coup de circuit.

Mais pour Lowe’s, c’est devenu comme un caillou dans une chaussure. L’entreprise n’a jamais réussi à hisser la rentabilité de ses activités canadiennes à un niveau satisfaisant. Comme ses actionnaires tapaient du pied, Lowe’s devait se débarrasser de ses activités canadiennes au plus vite.

Au Québec, il aurait été difficile de trouver un acquéreur unique avec les reins assez solides pour acheter l’ensemble des activités, surtout avec les risques de récession dans l’air.

On aurait espéré que la Caisse, comme un chef d’orchestre, parvienne à ficeler une transaction à plusieurs joueurs. Mais pour Lowe’s, il était plus simple de vendre d’un bloc à Sycamore et de dire : bon débarras !

Morale de l’histoire : il n’est pas facile de ramener nos fleurons à la maison. Alors, prenons soin de ceux qu’on a pour éviter qu’ils soient la cible d’une acquisition.

En 2019, la Coalition avenir Québec a débloqué 1 milliard de dollars pour mettre en place un fonds voué au maintien des sièges sociaux. Sur le plan politique, l’outil paraît bien. Mais dans la pratique, l’argent dont il dispose ne permettrait pas de bloquer l’acquisition d’une grande entreprise de chez nous.

Et de toute façon, il y a des limites à aller à l’encontre du marché.

La meilleure défense restera donc toujours l’attaque.

À ce chapitre, on s’en tire plutôt bien.

On se focalise beaucoup sur nos fleurons qui se font avaler par des concurrents étrangers. Mais quand on prend du recul, on réalise que, depuis cinq ans, les entreprises canadiennes ont dépensé presque deux fois plus pour acheter des sociétés étrangères que l’inverse.

Restons donc à l’affût. Appuyons nos détaillants qui ont pris du galon récemment dans le monde de la rénovation. C’est notre meilleure chance de récupérer des morceaux de la chaîne fondée par Rolland et Napoléon. Et de nous assurer que les emplois et tout le réseau de fournisseurs, ici, au Québec, soient préservés.

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    Valeur des acquisitions par des entreprises canadiennes de sociétés étrangères de 2016 à 2020
    Source : Institut des Fusions, Acquisitions et Alliances
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