Le premier ministre du Québec François Legault peut être décourageant par moments.

La Cour supérieure vient de rendre mardi une décision importante en matière de profilage racial. Dans six mois, les policiers québécois n’auront plus le pouvoir arbitraire d’intercepter un automobiliste sans motif réel. Parce qu’en pratique, ce type d’interceptions sans motif mène à du profilage racial à l’égard des Noirs. Ça contrevient à la Charte canadienne des droits et libertés, tranche la Cour supérieure.

Le gouvernement Legault n’a pas annoncé s’il porterait le jugement en appel, mais ça n’a pas empêché le premier ministre de faire une déclaration irresponsable.

« On a déjà mis en place des mesures contre le profilage racial. Par contre, quand on parle d’interpellations aléatoires, il faut comprendre qu’il faut laisser les policiers faire leur travail. Quand on voit la violence qu’il y a à Montréal dans certains quartiers, il faut aussi… […] J’ai totalement confiance aux policiers […] Ce n’est pas une question de profilage racial, c’est une question de s’assurer d’arrêter la violence à Montréal », a dit M. Legault mercredi.

Il y a deux gigantesques problèmes avec cette déclaration. Premièrement, ce genre de raccourci alimente les préjugés. Deuxièmement, Québec a plaidé en quelque sorte le contraire en cour.

Pour le Procureur général du Québec (PGQ) comme pour l’Association des directeurs de police, le pouvoir d’intercepter un conducteur sans motif réel sert uniquement à des fins de sécurité routière. On s’en sert pour combattre l’alcool et la drogue au volant, un point c’est tout. Rien à voir avec la violence armée et les fusillades à Montréal. En faisant cette déclaration malheureuse, M. Legault contredit les chefs de police et le PGQ.

Sur le fond, la Cour supérieure a pris la bonne décision. En 2022, on ne doit plus permettre à la police d’intercepter un automobiliste sans motif quand on sait à quel point cela contribue au profilage racial, une forme de discrimination systémique exercée par des personnes en autorité (par exemple la police).

Espérons que Québec et Ottawa ne feront pas appel, ou que les tribunaux supérieurs confirment cette décision qui aidera à lutter contre le profilage racial.

Les droits et libertés ne sont jamais absolus et le législateur peut les limiter de façon raisonnable s’il a une bonne raison. La sécurité routière est un objectif valable, mais Québec et Ottawa n’ont pas prouvé que les interceptions sans motif aident vraiment à réduire l’alcool et la drogue au volant (la police n’avait pas de données précises), conclut la Cour supérieure.

M. Legault a raison de dire qu’il « faut laisser les policiers faire leur travail ».

Même avec cette décision, la police a amplement les moyens de faire son travail – un travail fort important et difficile, il faut le souligner à double trait.

La police pourra continuer d’arrêter tout conducteur si elle a un motif raisonnable de croire qu’il commet une infraction au Code de la route ou au Code criminel.

La police pourra continuer de faire des barrages routiers aléatoires (c’est écrit clairement dans le jugement).

La police pourra mettre en place des programmes structurés de contrôles aléatoires (par exemple stopper un véhicule à tous les cinq véhicules, ou tous les véhicules dont la plaque se termine par 2).

Dans la rue, la police ne peut déjà pas interpeller un piéton sans un motif raisonnable. Le jugement de mardi appliquerait la même règle aux automobilistes.

Aux États-Unis, la police ne peut pas intercepter un automobiliste sans motif depuis 1979. C’est aussi interdit en Allemagne, où le taux de décès sur la route (4,1 décès per an pour 100 000 personnes) est plus faible qu’au Canada (5,8).

Le profilage racial ne veut pas dire que tous les policiers sont racistes, ou que la police est ouvertement raciste. Ça signifie qu’une minorité de policiers interceptent plus souvent des Noirs au volant sur la base « de préjugés plus ou moins conscients », selon le jugement.

Le plaignant dans ce dossier, Joseph-Christopher Luamba, un homme noir de 22 ans, a été intercepté au volant sans motif trois fois en un an. Sans jamais recevoir de contravention. Lecteurs blancs, combien de fois avez-vous vécu la même chose depuis un an ?

En 2022, on doit prendre les moyens nécessaires pour ne plus tolérer le profilage racial. Oui à la formation et la sensibilisation des policiers, mais il faut aussi mettre fin aux interceptions sans motif au volant.

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    À Montréal, les Noirs ont 2,5 fois plus de risques d’être interpellés dans la rue par la police que les Blancs, selon un rapport de trois professeurs remis au SPVM en 2019. L’un des experts a témoigné que le même ratio s’appliquerait aux interceptions en automobile.
    Source : SPVM
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