Toutes les morts ne sont pas égales. La crise des surdoses qui fauche des vies en silence au Québec en fait la triste démonstration.

Les surdoses passent sous le radar, même si elles causent autant de décès que les accidents de la route qui font constamment l’objet de nouvelles et de campagnes de sensibilisation.

Conduite avec les facultés affaiblies, vitesse excessive, textos au volant… Bon an, mal an, la province investit six millions de dollars pour promouvoir la sécurité routière dans des publicités qui nous arrachent le cœur. C’est pour une bonne cause : éviter le plus de morts possible.

Pour les campagnes de sensibilisation aux drogues et de prévention des surdoses, le gouvernement injecte trois fois moins.

Non, toutes les morts ne sont pas égales. Car il y a nous et eux. Il y a l’accident de voiture qui pourrait tous nous arriver. Et les surdoses qui touchent les autres, s’imagine-t-on.

Faux. Archifaux.

Dans un grand reportage coup de poing, notre collègue Philippe Mercure fait voler en éclats les préjugés, en mettant des visages sur cette épidémie invisible, dont le point de départ est souvent une prescription d’antidouleurs à la suite d’un problème de santé.

Il faut saluer le courage de ces individus et de leurs familles qui ont brisé le silence en témoignant à visière levée. Ils font partie de la solution en déconstruisant les clichés. En démontrant combien la crise des surdoses frappe partout, dans toutes les régions du Québec, toutes les classes sociales et tous les groupes d’âge.

Pour sauver des vies, deux mots : déstigmatisation et décriminalisation.

Parlons d’abord de la stigmatisation qui fait qu’on abandonne trop souvent les toxicomanes et même les usagers récréatifs, parce qu’on juge, consciemment ou pas, que leur comportement est moralement répréhensible ou condamnable.

Brisons ce mythe : la dépendance n’est pas un problème de comportement ou un manque de volonté. C’est une maladie chronique qui doit être soignée, au même titre que le diabète ou le cholestérol.

Jamais on ne laisserait repartir des urgences une personne qui vient de faire une crise cardiaque, sans autres formalités. Pourtant, c’est ce que font la majorité des hôpitaux au Québec après avoir sauvé une personne qui vient de faire une surdose.

Vite, administrons de la naloxone comme antidote… et libérons la civière. Puis le patient se retrouve dans la rue, seul face à ses problèmes.

Mais il faut dire que peu de médecins ont reçu une formation complète sur les dépendances, qui ne font pas partie du programme obligatoire dans presque toutes les universités. Un manque évident.

Et lorsque le patient est pris en charge, de nombreuses pharmacies refusent de leur servir le traitement à la méthadone qui permet de calmer leur manque sans créer d’extase. Ont-elles peur de ce genre de clientèle ? Imaginez si elles refusaient d’aider les diabétiques.

Encore une fois : deux poids, deux mesures. C’est inadmissible. Tous les patients ont besoin de soins. En particulier les plus vulnérables.

Toute cette stigmatisation dont sont victimes les consommateurs de drogues est exacerbée par le fait que la dépendance est traitée comme un crime, plutôt que comme une maladie.

Cela contribue à leur isolement. De crainte d’être interpellés par les policiers, les gens consomment dans l’ombre, ce qui augmente les risques de décès puisque personne ne pourra leur sauver la vie en cas de surdose.

Décriminaliser des drogues dures, comme l’héroïne, reste un grand tabou. Mais la société est prête à évoluer.

La Ville de Montréal a déjà demandé à Ottawa d’agir en ce sens. La Direction de santé publique de Montréal, le Service de police de la Ville de Montréal souhaitent aussi la décriminalisation des drogues, comme le recommande d’ailleurs l’Organisation mondiale de la santé.

N’attendons pas que la crise dégénère pour suivre l’exemple de la Colombie-Britannique. En mai dernier, Ottawa lui a accordé une exemption de trois ans pour supprimer les sanctions pénales imposées aux personnes qui possèdent une petite quantité de substances illicites.

À partir de janvier, finies les arrestations, les inculpations et les saisies. À la place, les policiers orienteront ceux qui en feront la demande vers des services de santé. Une première au pays, mais pas à travers le monde, car certains pays, comme le Portugal, ont déjà fait le virage.

Face à cet enjeu délicat, Québec pourrait créer un comité transpartisan pour réfléchir sereinement aux meilleures pratiques à mettre en place, comme on l’a fait pour l’aide médicale à mourir.

Or, le dévoilement, en catimini, de la nouvelle stratégie de Québec de prévention des surdoses ne donne pas l’impression que la Coalition avenir Québec veut prendre le taureau par les cornes, elle qui a plutôt insisté pour relever de 18 à 21 ans l’âge légal pour acheter du cannabis.

N’empêche, il faut voir la dépendance comme une maladie, pas comme un crime. Le vrai crime, c’est d’ignorer la crise des surdoses. C’est d’abandonner les plus vulnérables qui ont besoin d’aide pour mater leur dépendance.

Lisez notre grand reportage sur les surdoses Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion