Ah, les intellectuels… Pourraient-ils enfin arrêter de polluer nos débats avec des idées qui n’intéressent personne ? Comme… la réforme du mode de scrutin, par exemple.

C’est essentiellement ce que François Legault a insinué lorsqu’il a été questionné dimanche, sur les ondes de Radio-Canada, au sujet de la réforme que son gouvernement a laissé tomber comme s’il s’agissait d’une vieille chaussette nauséabonde.

« À part quelques intellectuels, le changement de mode de scrutin, ça intéresse pas les Québécois », a-t-il dit.

Quelle mouche a piqué le candidat Legault ? Il a tout simplement décidé d’avoir recours à une méthode éprouvée en politique : diviser pour régner.

Ce même François Legault, en 2018, estimait que le statu quo sur la question du mode de scrutin était intenable.

Le système actuel nous a bien servis, mais il montre de plus en plus ses limites. Les citoyens sentent que leur vote compte de moins en moins. Le statu quo vient nourrir le cynisme au Québec.

François Legault, en 2018

Il avait promis que s’il prenait le pouvoir, une réforme serait adoptée dès son premier mandat.

La récente déclaration de François Legault s’explique donc uniquement de deux façons :

  • Soit il était jadis un intellectuel et il ne l’est plus. Si c’est le cas, on présume qu’il arrêtera bientôt de faire partager ses recommandations de livres sur les réseaux sociaux (ce serait dommage, cette habitude est fort sympathique).
  • Soit il fait preuve de démagogie et flirte avec une technique populiste bien connue : dénoncer les élites.

On penche pour la deuxième explication.

D’autant plus que ce ne fut pas la seule sortie clivante du chef de la CAQ lors de son passage à l’émission spéciale Cinq chefs, une élection.

Il a aussi, à deux reprises, dénoncé les Montréalais.

« Faut que les gens de Montréal arrêtent de regarder de haut les gens de Québec et de Lévis », a-t-il dit en prenant la défense du troisième lien.

Il a ensuite utilisé la même technique dans un autre dossier controversé qui fait mal paraître la CAQ : celui de la Fonderie Horne de Rouyn-Noranda.

« On va consulter dans les prochaines semaines les gens de Rouyn-Noranda. C’est eux autres qui vont décider. Pas les gens de Montréal. »

Mais qui a dit que « les gens de Montréal » allaient prendre une décision dans ce dossier ? Personne.

Même qu’on pourrait plutôt reprocher aux médias montréalais d’avoir ignoré cet enjeu pendant trop longtemps. C’est la grogne des citoyens de Rouyn-Noranda qui fait que tout le Québec, désormais, s’intéresse à ce scandale environnemental.

Et c’est parfaitement normal. Le contraire serait inquiétant.

Tout comme il est parfaitement normal, comme le soulignait mardi Yves Boisvert, que le troisième lien soit devenu un enjeu national.

Lisez « Le syndrome du tunnel irritable »

François Legault est très habile. Il recadre le débat de la fonderie en laissant entendre que nous voici encore une fois devant un dossier où des Montréalais condescendants veulent se mêler de ce qui ne les regarde pas.

La réforme du mode de scrutin. Le troisième lien. La Fonderie Horne. Dans les trois cas, pour se tirer de l’embarras, il fouette les sangs de tous ceux qui ont l’impression qu’une élite intellectuelle montréalaise dirige le Québec en regardant de haut tous ceux qui n’habitent pas la métropole.

Les Montréalais ne sont peut-être pas toujours assez sensibles au sort de ceux qui vivent à l’extérieur de la métropole. Mais ne nous méprenons pas. Ici, on assiste à une opération de diversion.

Devant une question difficile, François Legault réagit comme un nageur devant un banc de piranhas, qui lance un morceau de viande pour que les poissons se précipitent dans une autre direction.

Le problème, c’est que faire diversion de cette façon est périlleux.

Ramener des enjeux fondamentaux à un débat « Montréal contre les régions » ou à une lutte entre les priorités des intellectuels et celles du peuple, c’est jouer avec le feu.

C’est une stratégie terriblement clivante et polarisante. Et le Québec ne peut pas se permettre que nos politiciens cherchent à accroître les divisions.

Le pire, c’est que l’avance du premier ministre sur ses rivaux est telle qu’il n’a pas besoin d’avoir recours à de telles méthodes.

Il aurait tout avantage à se souvenir qu’il est le premier ministre (de tous les Québécois) et qu’avec ce pouvoir viennent de grandes responsabilités.

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