Après Bernard Drainville, c’est notre premier ministre qui est atteint du syndrome du tunnel irritable.

« Il faut que les gens de Montréal arrêtent de regarder de haut les gens de Québec puis de Lévis », a dit François Legault en entrevue dimanche soir à Radio-Canada.

Sérieusement ?

Il reprenait ainsi une idée à la mode chez les partisans de ce « troisième lien » : c’est un enjeu purement local, qui ne regarde pas les gens de Montréal.

Remettre en question la pertinence du projet serait faire preuve de mépris envers la capitale nationale.

Non, mais est-ce qu’on se mêle de vos dizaines de ponts, à Montréal ?

Je ne sais pas si ça séduit les gens de Saint-Romuald, mais la manœuvre est franchement quétaine. Il n’y a aucun conflit Montréal-Québec. Et l’opposition ou la critique de ce troisième lien, loin d’être essentiellement montréalaise, n’a aucun rapport avec le mépris ou les rivalités régionales.

D’abord, la simple ampleur du projet en fait un enjeu national. On parle d’une infrastructure de 6,5 milliards au bas mot dans sa dernière mouture — comptons donc 10 milliards, ou plutôt 13, à la lumière de l’historique des évaluations gouvernementales.

Ça en ferait donc le projet d’infrastructure le plus important depuis une génération au Québec. En soi, c’est une raison suffisante pour poser des questions, qu’on soit de Pointe-aux-Trembles ou de la Pointe-aux-Lièvres.

Deuxièmement, la nature même du projet, essentiellement une autoroute souterraine avec des transports en commun intermittents, est aussi un sujet légitime de discussion « nationale ». Quel genre de développement veut-on au Québec ? Dans la région de Québec, déjà très « étalée », quel en sera l’effet ?

Ça se discute !

Le problème, c’est que ce gouvernement ne veut justement pas en discuter. Le candidat Bernard Drainville est maintenant au tunnel ce qu’Idéfix est aux arbres : il grogne dès qu’on s’approche du sujet.

« Avez-vous des études, M. Drainville ?

— L’attente qu’on vit, elle n’a pas besoin d’être étudiée, a répondu l’ex-animateur de radio aux journalistes. Tu as juste besoin d’être dans ton char, dans le trafic, pis la maudite attente est de plus en plus longue. »

C’est le même Drainville qui, du temps qu’il était péquiste, répondait à Gérard Bouchard qu’il n’avait « pas besoin d’études » sur la question des signes religieux, car il parlait « aux gens » dans la rue.

OK.

Mais du premier ministre, je m’attends à mieux, à plus.

Nous ne l’aurons pas, apparemment.

« Allez-vous nous montrer les études, M. Legault ? »

Ces études existent, mais il refuse de les dévoiler. Elles ne sont plus à jour, dit-il. Il faut tenir compte du télétravail, etc.

Passons sur le fait que le gouvernement refuse de rendre publiques ses études sur un sujet aussi important. Il n’y a pas ici de secret industriel ni de menace aux profits d’Hydro-Québec. On parle d’études sur la mobilité, les temps d’attente, les besoins des citoyens… Au nom de quoi de tels documents, payés par les fonds publics, demeurent-ils secrets ?

Ça serait-y que les chiffres sont mauvais ? La rétention documentaire sélective traverse tous les gouvernements, comme vous savez.

Mais attendez un peu. Si ces études ne sont plus à jour, êtes-vous en train de nous dire qu’on défend avec acharnement un projet fondé sur des études périmées ?

Lisez l’article « Legault refuse à nouveau de dévoiler les études »

Revenons au triste argument « Montréal-Québec ».

Je signale que l’ancien maire Régis Labeaume était contre. Le maire actuel, Bruno Marchand, est clairement opposé au projet, qui va contre toute sa vision du développement urbain. Il se contente pour le moment de demander des études, le fardeau étant sur les épaules du gouvernement. Sans succès.

La population de Québec ? Ça dépend à qui on demande. Un sondage Léger paru en juin indique que 75 % des gens de Lévis et 59 % des gens de Québec y sont favorables. Un an plus tôt, seulement 47 % des gens de la région appuyaient l’ancienne version du projet, plus ambitieuse. Il n’y a pas d’unanimité.

Plusieurs dans la région élèvent la voix pour dénoncer le projet, et ce n’est pas parce qu’ils regardent leurs concitoyens « de haut ».

Alors, lâchez-moi avec Montréal-Québec ! comme dirait le candidat Drainville.

Si ce tunnel est si évidemment nécessaire, ça devrait se démontrer autrement qu’en allant fulminer dans le char du candidat Drainville, laboratoire sympathique, mais pas encore accrédité. Qu’on sorte les données, les études de terrain, la faisabilité, la géologie, etc.

En attendant, c’est pas qu’on regarde de haut, je vous jure. C’est que les arguments sont si bas, faut se pencher, et encore, on voit presque rien.