La soirée au resto a été agréable. La bouffe était bonne. Le service était sympa et courtois. On ajoute donc un pourboire de 15 %.

Étonnamment, dans de nombreux restaurants, il n’y a qu’une seule personne qui en bénéficie : le serveur.

Le cuisinier ne verra pas un sou de votre pourboire. La personne qui nettoie les tables et qui remplit votre verre d’eau non plus. Et on ne parle même pas des plongeurs.

C’est inéquitable.

Depuis 2002, les salariés à pourboire (traduction : les serveurs et serveuses dans les restos) peuvent partager leurs pourboires avec les autres travailleurs de l’établissement au moyen d’une convention de pourboires. Il faut que la majorité des salariés à pourboires soit d’accord.

L’Association des restaurateurs du Québec demande de modifier la Loi sur les normes du travail pour permettre à l’employeur d’imposer une convention de pourboires dans son établissement.

Cette demande des restos est légitime. Pourvu qu’elle soit bien encadrée.

Pourquoi est-ce une bonne idée ? Parce que la grande majorité des clients paient un pourboire non seulement pour le service, mais aussi pour la qualité du repas — lequel est le fruit du travail des employés derrière le comptoir.

Il est temps de mieux redistribuer les pourboires, une source majeure de revenus pour les employés dans les restos.

Depuis une décennie, l’écart entre la rémunération des serveurs et celle des autres employés en restauration a augmenté, principalement en raison de la hausse des pourboires. En 2012, un serveur faisait 1,5 fois le salaire horaire d’un cuisinier spécialisé. En 2021, ce ratio est passé à 1,9 fois.

En 2021, un serveur gagnait en moyenne 35,92 $ l’heure dans un resto. Environ les deux tiers environ (64 %) de sa rémunération sont des pourboires. Pour sa part, un cuisinier spécialisé gagnait en moyenne 19,40 $ l’heure, un chef cuisinier 23,14 $. Les cuisiniers et les chefs ne touchent pas de pourboires, à moins que les serveurs aient décidé de partager. Dans les restos où il y a une convention, les serveurs partagent généralement entre 5 % et 25 % des pourboires.

Un comité de représentants patronaux, syndicaux et de l’organisme Au bas de l’échelle doit soumettre cet automne ses recommandations au gouvernement sur la question du partage des pourboires. La CSN et la FTQ ne sont pas favorables à la proposition des restos. Ils suggèrent plutôt aux employeurs de hausser le salaire de leurs cuisiniers (une hausse qui se retrouvera inévitablement dans votre assiette, alors que l’inflation est à 8,0 % au Québec). Il ne faut donc pas s’attendre à des recommandations unanimes…

N’empêche : il est temps de permettre aux employeurs d’imposer une convention de partage de pourboires. Pourvu que ce nouveau pouvoir consenti à l’employeur soit très bien encadré. On ne veut surtout pas que les employeurs en profitent pour se servir dans le pot très payant des pourboires.

Les employeurs en restauration disent vouloir réduire, et non abolir, l’écart de rémunération entre les serveurs et les autres employés. Les serveurs resteraient les employés les mieux payés.

Il y a moyen d’en arriver à une solution équitable pour tous. Une solution qui pourrait rassembler à ceci :

  1. Permettre aux restos d’imposer le partage jusqu’à 15 % des pourboires. Ce serait facultatif. (Même en partageant 15 % de leurs pourboires, les serveurs resteraient de loin les employés les mieux payés d’un resto.)
  2. Tout partage de plus de 15 % des pourboires nécessiterait l’accord de la majorité des employés à pourboires aux termes d’une convention (soit le régime actuel).
  3. Les restos ne peuvent pas toucher un sou des pourboires. C’est une condition essentielle.
  4. Les chefs propriétaires n’auraient pas droit au partage des pourboires.

Si Québec décide d’agir, il devra le faire avec doigté, question de maintenir le fragile équilibre économique dans le milieu de la restauration. Et en respectant un principe de base primordial : 100 % des pourboires doivent continuer d’aller aux salariés.

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