Le mouvement #moiaussi a crevé un abcès qu’on ne finit plus de vider depuis cinq ans. André Boisclair, Hockey Canada, Philippe Bond… cette semaine seulement, des têtes d’affiche de la scène politique, sportive et artistique ont alimenté la série noire.

Même si les choses ont changé, voilà la preuve qu’il reste du chemin à faire pour briser l’omerta qui empêche les victimes de parler.

Car la culture du silence reste forte.

Il est sidérant de constater que Hockey Canada avait mis en place un fonds qui a atteint jusqu’à 15 millions de dollars, comme l’a révélé le Globe and Mail. Cet argent permettait notamment de régler sans faire de bruit les plaintes d’inconduites sexuelles.

Cette attitude donne la détestable impression que l’organisme voyait le viol comme une fatalité, comme une dépense qu’il est plus simple de prévoir que d’essayer d’éradiquer. « Cost of doing business. » C’est inadmissible !

Quant à Philippe Bond, les inconduites alléguées rapportées par huit femmes dans La Presse, cette semaine, semblaient le secret le moins bien gardé en ville. Le producteur de Tout le monde en parle avait banni l’humoriste depuis longtemps. Le Groupe Juste pour rire avait commencé à l’exclure de sa programmation.

Pourtant, Philippe Bond conservait son micro comme coanimateur de C’t’encore drôle, à Énergie. Il a fallu que le scandale éclate pour que Bell Média le largue. On se serait attendu à davantage de proactivité.

Au fil des ans, toutes ces dénonciations ont néanmoins mené à une prise de conscience publique et politique.

Il faut saluer les efforts de la Coalition avenir Québec (CAQ) — de concert avec les libéraux, péquistes et solidaires – qui ont débouché sur la création d’un tribunal spécialisé qui permettra de mieux épauler les victimes.

Le gouvernement a aussi accordé davantage de financement à une kyrielle d’organismes. Résultat ?

De nouveaux programmes comme Rebâtir, qui offre quatre heures de consultation juridique gratuite aux victimes de violence sexuelle ou conjugale.

Davantage d’agents dans les Centres d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) pour accompagner les victimes en cour.

Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a aussi mis en place une ligne téléphonique gratuite et confidentielle qui permet aux victimes de parler à un procureur spécialisé en matière d’agression sexuelle.

Voilà de belles initiatives.

Le milieu du travail fait aussi des efforts. Il est vrai que les salariés ont davantage de recours que les contractuels. Mais avec la récente réforme de la Loi sur le statut de l’artiste, les artistes, qui sont des travailleurs autonomes, pourront désormais faire valoir leurs droits devant le Tribunal administratif du Travail.

Une bonne nouvelle pour le milieu de la culture qui a été dans l’œil de la tempête MeToo.

En fait, la société entière a évolué à travers cette discussion collective désagréable, mais essentielle.

Désormais, les victimes se lèvent. Certaines parlent à visage découvert. On salue leur courage, alors qu’avant on minimisait leur plainte… quand on ne leur mettait pas carrément le blâme sur le dos.

D’ailleurs, il est rassurant de voir que la police de Gatineau a rapidement décidé de reprendre contact avec une femme qui avait laissé tomber sa plainte contre Philippe Bond. Lorsqu’elle s’était présentée au poste, en 2007, les policiers semblaient plus préoccupés par la réputation de l’humoriste que sa déposition. Misère !

Mais encore aujourd’hui, seule une minorité des victimes d’agression sexuelles portent plainte, notamment parce qu’elles ne souhaitent pas voir leur agresseur — souvent un ami, un collègue ou un membre de leur famille — aboutir derrière les barreaux, constate Juripop.

Certaines préféreraient que le crime soit reconnu dans le cadre d’un processus de justice réparatrice, ce qui est difficile puisque les excuses d’un agresseur peuvent ensuite se transformer en aveu.

Si on ne veut pas que les victimes se tournent vers les médias sociaux pour se faire justice, il y aurait donc lieu de réfléchir à une approche alternative qui correspondrait aux aspirations des victimes, sans être pour autant une justice au rabais pour les agresseurs.

Reste que la solution aux agressions sexuelles ne peut pas passer uniquement par le système judiciaire.

Pour empêcher les agressions, il faut travailler en amont. Remettre l’éducation sexuelle à l’ordre du jour chez les jeunes qui ont grandi en regardant la pornographie sur le web.

Oui, l’école a son rôle à jouer. Mais aussi les parents. Et la société au complet. Le consentement, ce n’est pas si compliqué à comprendre. Et pourtant…

Comment se fait-il que Philippe Bond n’ait pas reculé devant les protestations de la jeune femme qu’il aurait enfermée dans une toilette publique ?

Comment se fait-il que sur huit joueurs de hockey qui se seraient trouvés dans une chambre d’hôtel avec une seule femme en état d’ébriété, pas un seul n’ait songé à s’interposer ?

Pour prévenir les inconduites sexuelles, il faut arrêter de détourner le regard. C’est bien beau d’encourager les victimes à porter plainte, mais les témoins doivent aussi jouer un rôle actif.

Collectivement, on doit tous s’ouvrir les yeux et briser le silence.

Quelques ressources

Informez-vous sur le programme Rebâtir

Appelez à la ligne du DPCP : 1 877 547-3727

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