Par les temps qui courent, on n’a pas le luxe de laisser des professionnels jouer sur le banc. On ne peut pas se priver des travailleurs étrangers qui peuvent nous aider à contrer la pénurie de main-d’œuvre, notamment dans le système de santé qui manque cruellement de personnel.

Les conséquences se voient partout.

Prenez les urgences où l’été sera encore plus difficile que l’an dernier à cause de l’absentéisme, a prévenu le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, cette semaine.

Prenez aussi les résidences privées pour aînés (RPA) où pas une semaine ne passe sans qu’on annonce une fermeture. Début juin, on apprenait d’ailleurs que la résidence Sous les étoiles, dans les Laurentides, allait laisser sur le carreau 24 personnes âgées, à un mois d’avis. Une catastrophe pour ces personnes vulnérables qui seront déracinées de leur milieu de vie.

Depuis janvier 2021, c’est l’hécatombe. Plus de 160 RPA ont fermé. Surtout de petits établissements plus abordables. Surtout en région où il y a peu de solutions de rechange.

Le facteur numéro un derrière cette série noire ? Le manque de personnel. Pourtant, les RPA se démènent pour dénicher des travailleurs, par exemple en organisant des missions de recrutement à l’étranger où des milliers de personnes lèvent la main.

Mais venir travailler chez nous est un vrai parcours du combattant.

D’abord, le processus d’immigration est d’une lenteur inadmissible. Des travailleurs étrangers attendent parfois jusqu’à 18 mois avant d’atterrir dans la résidence qui les a embauchés.

Qu’attend-on pour appuyer sur l’accélérateur ? Qu’ils changent leurs plans et aillent voir ailleurs ?

De plus, les RPA constatent que les travailleurs étrangers qu’ils recrutent comme préposés aux bénéficiaires ne peuvent pas toujours amener leur famille avec eux, contrairement à d’autres travailleurs comme les infirmières ou des cuisinières qui se trouvent dans une autre catégorie.

Ne serait-il pas temps de mieux adapter ces règles hautement dissuasives à nos besoins criants de main-d’œuvre ?

Arrivés au Québec, les travailleurs ne sont pas au bout de leurs peines. De nombreuses infirmières d’expérience qui ont obtenu un baccalauréat dans leur pays, en Tunisie par exemple, se retrouvent à travailler comme préposées aux bénéficiaires dans les RPA du Québec.

Le phénomène de la surqualification des personnes migrantes dans les soins de santé est largement documenté. Selon Statistique Canada, à peine le tiers (37 %) des immigrants qui ont un diplôme correspondant au baccalauréat en sciences infirmières occupent réellement un emploi dans leur profession, contre les trois quarts (78 %) pour les diplômées du Canada.

Pourtant, l’Ordre des infirmières du Québec, qui reçoit près de 700 demandes de reconnaissance de diplômes par année, accède pratiquement à toutes les demandes… à condition de faire une formation d’appoint sur les bancs d’école (dans 34 % des cas) ou un stage chez l’employeur (64 %), selon les connaissances et l’expérience de la candidate.

Sauf que l’analyse du dossier par l’Ordre prend environ trois mois à partir du moment où le dossier est complet. Et ensuite, la formation dans les cégeps dure environ huit mois. Les travailleurs étrangers n’ont pas les moyens de se priver de revenus durant une aussi longue période pour suivre un cours standardisé qui ne répond pas nécessairement à leurs besoins.

Le stage en emploi est généralement moins long que la formation au cégep, mais les RPA n’ont pas nécessairement les ressources pour l’offrir chez elles. Et de toute façon, leurs recrues étrangères arrivent avec un permis de travail temporaire qui leur interdit « de fréquenter un établissement d’enseignement ou de suivre un cours théorique ou professionnel », ou encore d’exercer une « profession autre que celle indiquée ».

C’est ainsi que de nombreuses infirmières qualifiées travaillent comme préposées aux bénéficiaires, alors qu’elles pourraient en faire tellement davantage. Elles doivent attendre facilement trois ou quatre ans pour obtenir leur résidence permanente et ensuite retourner aux études.

Or, ce temps qui s’écoule est crucial pour les infirmières, comme pour tous les professionnels. Si l’intégration en emploi n’est pas réussie après deux ou trois ans, les risques de désuétude des compétences et de repli socioprofessionnel augmentent.

Alors, pourquoi ne pas offrir rapidement une formation d’appoint à temps partiel aux travailleurs étrangers qui doivent gagner leur vie ?

Il est impératif d’accélérer et de faciliter le parcours des immigrants qui arrivent ici sans boussole. Pour cela, il faut une meilleure concertation entre les différents acteurs, comme le recommande d’ailleurs le Conseil interprofessionnel du Québec dans le cadre d’un chantier de modernisation des lois entourant les professions.

L’intégration professionnelle des diplômés hors Québec représente 15 % de l’ensemble des permis accordés par les 46 ordres, ce qui nécessite beaucoup de ressources. Le processus doit être le plus efficace possible, car l’immigration est un élément clé pour résoudre la pénurie de main-d’œuvre, en particulier dans le domaine de la santé.

Ces personnes quittent leur famille et leur pays pour prendre soin des gens les plus vulnérables chez nous. Et refaire leur vie ici. La moindre des choses serait de faciliter leur accueil et leur intégration professionnelle. Pour eux. Et aussi pour le Québec.

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