François Legault est fâché.

Selon lui, Justin Trudeau aurait fait preuve mercredi d’un « manque de respect flagrant […] envers les Québécois ».

Qu’a fait le gouvernement Trudeau de si épouvantable ?

Il a annoncé qu’il… participera au débat juridique sur la Loi sur la laïcité de l’État quand ce débat sera rendu en Cour suprême, quelque part en 2024 ou en 2025. Ottawa interviendra essentiellement pour suggérer à la Cour comment interpréter la Charte canadienne des droits et libertés dans le cadre de la loi 21.

Comme le feront des dizaines d’autres intervenants.

Comme le fait régulièrement le Procureur général du Québec dans des causes touchant les compétences du Québec. Un exemple ? Québec estimait qu’Ottawa n’avait pas la compétence pour imposer une taxe sur le carbone (Ottawa a la compétence, a tranché la Cour suprême).

Depuis l’adoption de la Loi sur la laïcité de l’État, le gouvernement Legault a réussi à imposer une omerta aux politiciens fédéraux sur le sujet. Sur le plan politique, c’était habile. Sur le plan juridique, ça n’avait aucun sens à long terme.

Certes, il y a une partie de calculs politiques dans la décision d’Ottawa. Pressé de préciser sa pensée sur la question depuis des années, le gouvernement Trudeau a choisi d’annoncer qu’il sautera éventuellement dans l’arène juridique… le lendemain de l’adoption de la réforme de la loi 101. Ce n’est pas un hasard : on envoie ainsi un signal, particulièrement à la communauté anglo-québécoise, que la défense des droits des minorités est importante.

Le fédéral n’a pas contesté la loi 21. Des Québécois voulant porter des signes religieux l’ont fait. En invoquant leurs droits et libertés en vertu de la Charte canadienne et de la Charte québécoise.

Au nom de quoi le Procureur général du Canada devrait-il se taire en Cour suprême, alors que le reste de la communauté juridique donnera son avis et qu’on y discutera de l’interprétation de la Charte canadienne ?

On accuse souvent les politiciens – le gouvernement Trudeau en particulier – de pratiquer la langue de bois. Mercredi, le ministre fédéral de la Justice, David Lametti, a été clair et limpide : à son avis, un législateur ne peut pas utiliser la disposition de dérogation de façon préventive. « Ça va contre l’esprit de la Charte », explique-t-il. Selon Ottawa, la disposition de dérogation devrait servir uniquement en dernier recours, si un tribunal invalide une loi en vertu des Chartes. Cette interprétation de la disposition de dérogation serait un changement majeur en droit constitutionnel.

Depuis 2019, le gouvernement caquiste a utilisé deux fois la disposition de dérogation à titre préventif. Une loi pour affirmer la laïcité de l’État ? Disposition de dérogation. Une réforme de la loi 101 ? Disposition de dérogation.

Québec n’aurait pas dû utiliser la disposition de dérogation, pour la loi 21 comme pour la réforme de la loi 101. Le législateur ne devrait jamais utiliser la disposition de dérogation à titre préventif, point (voir notre éditorial de l’automne dernier). Avant la CAQ, aucun gouvernement québécois n’avait utilisé la disposition de dérogation dans les deux Chartes (la Charte canadienne et la Charte québécoise) en même temps de façon préventive sur une question importante d’intérêt général. Les dispositions les plus costaudes de la loi 101 – la langue d’enseignement au primaire et au secondaire – n’en ont jamais eu besoin.

Lisez l’éditorial « Oui à la protection du français, non à la disposition de dérogation »

À utiliser la disposition de dérogation avec le même entrain qu’un gamin tartine ses rôties, en opposant presque avec fierté les droits et libertés à d’autres objectifs importants comme la laïcité et la défense du français, le gouvernement Legault a joué à un jeu dangereux.

La partie connaîtra son dénouement en Cour suprême. Avec Ottawa sur la patinoire, et non sur le banc.

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