Pierre Poilievre joue avec le feu en suivant le manuel du parfait populiste écrit par Donald Trump pour son élection en 2016.

Sur la forme, les similitudes sont frappantes : refus de répondre aux questions des médias traditionnels, utilisation de formules chocs avec la délicatesse d’un bulldozer…

Et sur le fond, la rhétorique est la même : 1) identifier un problème qui exaspère la population ; 2) mettre la faute sur le dos d’un responsable qu’on peut frapper sans ménagement ; 3) faire croire aux électeurs qu’on peut régler cet enjeu complexe avec une solution simple.

Donald Trump, lui, se concentrait sur la Rust Belt, cette « ceinture de rouille » dont fait partie Detroit, rongée par l’érosion des emplois manufacturiers. Il tapait sur la Chine et le Mexique et promettait de déchirer les accords de libre-échange pour ramener du boulot en sol américain. Facile ! Non, pas vraiment. Car beaucoup de ces emplois étaient disparus à cause des avancées technologiques, pas de la concurrence étrangère.

Pierre Poilievre, pour sa part, s’attaque à l’inflation, la « Justinflation » pour reprendre la formule assassine qu’il a inventée afin de se moquer du premier ministre dépensier. C’est payant sur le plan politique, car la hausse spectaculaire des prix à la consommation fait souffrir tous les Canadiens : les jeunes qui n’arrivent plus à acheter une maison, les moins fortunés qui peinent à faire l’épicerie, les conducteurs qui voient rouge en faisant le plein à 2 $ le litre…

Pierre Poilievre a identifié le coupable : la Banque du Canada, une institution cruciale dont il mine la crédibilité depuis des semaines, la qualifiant même d’« illettrée financière ».

La solution qu’il a proposée cette semaine, lors d’un débat de la course à la direction du Parti conservateur, est aussi simpliste que dangereuse. Celui qui aspire à diriger le pays veut carrément mettre à la porte le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, et le remplacer « par un nouveau gouverneur, qui rétablirait une politique de faible inflation ».

Si seulement c’était si facile !

Sur un point, Pierre Poilievre a raison. Les banques centrales se sont fourvoyées. Pas juste la Banque du Canada.

On ne peut pas leur reprocher d’en avoir trop fait pour soutenir l’économie mondiale lorsque la pandémie a frappé en 2020. Ce serait comme engueuler les pompiers parce qu’ils ont utilisé trop d’eau pour éteindre l’incendie du siècle.

Mais on peut blâmer les banques centrales qui ont trop tardé à fermer le robinet alors que l’économie roulait à fond en 2021. Elles croyaient que l’inflation élevée redescendrait toute seule, avec le retour à la normale des chaînes d’approvisionnement mondiales perturbées par la pandémie.

Erreur ! À la place, l’invasion de l’Ukraine a jeté de l’huile sur le feu.

Mais en promettant de congédier le patron de la Banque du Canada, Pierre Poilievre se mêle de ce qui ne le regarde pas… comme l’a fait Donald Trump durant tout son mandat.

« Qui est notre principal ennemi ? Jay Powell ou le président Xi ? », avait-il écrit sur Twitter en 2019, pour tordre le bras du patron de la Fed afin qu’il réduise les taux d’intérêt pour stimuler l’économie.

Or, cette ingérence politique est nocive. L’inflation est plus faible dans les pays où les politiciens n’ont pas d’influence sur les opérations de leur banque centrale, comme le démontre une étude de l’Université Harvard1.

En attaquant la crédibilité de la Banque du Canada, Pierre Poilievre mine une institution qui est parvenue à maîtriser l’inflation depuis 30 ans, procurant stabilité et richesse à l’ensemble de la population.

De toute façon, remplacer le gouverneur de la Banque du Canada ne réglerait pas les ennuis d’un coup de baguette magique. Réparer une erreur de politique monétaire et ramener l’inflation à la normale ne se fait pas sans effets secondaires.

Au début des années 1980, le président de la Fed, Paul Volcker, avait dû prendre les grands moyens pour freiner l’escalade des prix, en faisant passer le taux directeur de la banque centrale à 20 %. Cette médecine de cheval a permis d’abaisser l’inflation qui avait culminé à 13,5 % en 1981 jusqu’à 3 % deux ans plus tard. Mais il s’en est suivi une récession très douloureuse.

Aujourd’hui, les banques centrales jouent aux équilibristes en essayant de freiner l’inflation sans tuer l’économie. Pour l’instant, le taux directeur de la Banque du Canada (1 %) reste bien en dessous de l’inflation (6,7 %). On appuie encore sur l’accélérateur, au lieu d’appliquer les freins.

Même en continuant de monter les taux d’intérêt, il ne sera pas facile de contenir la hausse des salaires qui fait bondir le prix des services, que ce soit au restaurant, dans la construction ou ailleurs. C’est que le marché du travail restera pris en étau par la pénurie de main-d’œuvre alimentée par le départ à la retraite massif des derniers baby-boomers.

Certains économistes vous diront que la seule façon de freiner la hausse des salaires, c’est de provoquer une récession. Et que ça ne sera pas plaisant du tout.

D’autres croient encore qu’il existe une route pour éviter la récession, même si elle est très étroite. Alors si on ne veut pas finir dans le ravin, ce n’est pas le temps de bousculer les banques centrales, même si cela paraît séduisant pour les populistes comme Trump et Poilievre.

Consultez l’étude de Harvard « Central Bank Independence Revisited: After the financial crisis, what should a model central bank look like? » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion