On ignore ce que veut faire exactement Elon Musk avec Twitter. On sait toutefois une chose : depuis sa spectaculaire acquisition, l’homme le plus riche du monde parle beaucoup de liberté… et très peu de responsabilité.

Cela vient rappeler l’urgence de réglementer les réseaux sociaux. Ici, le gouvernement Trudeau n’a pas attendu cette mégatransaction pour réfléchir à la haine et à la désinformation sur l’internet. C’est à saluer. Mais voilà un dossier où il faudra faire les choses vite et bien.

Elon Musk a affirmé vouloir faire de Twitter l’équivalent numérique des places publiques des villes (digital town square).

L’analogie est intéressante. Parce que contrairement à ce que M. Musk laisse entendre, les places publiques ne sont pas des Far West sans foi ni loi. La liberté d’expression y règne. Mais comme partout ailleurs, elle n’y est pas absolue.

Quiconque profère des menaces à la place d’Youville ou au square Phillips sera rapidement arrêté. Même chose s’il tente de fomenter un nettoyage ethnique ou s’il incite ses concitoyens à s’armer pour prendre d’assaut le parlement.

C’est l’État qui dicte les règles sur les places publiques et c’est tant mieux. Ça doit être la même chose sur les places numériques.

Évidemment, on a appris à la dure que nos agoras virtuelles ont une portée que les perrons d’église n’ont pas. C’est pourquoi, en plus d’y faire appliquer les lois existantes, il faut aussi des lois spéciales pour les encadrer.

Le scandale Cambridge Analytica a montré comment des individus malintentionnés peuvent tirer profit des données personnelles des internautes pour influencer leurs intentions de vote et corrompre les processus démocratiques.

La pandémie a montré comment des algorithmes dont le fonctionnement est caché au public peuvent créer des chambres d’échos favorisant la désinformation et la haine - avec des conséquences parfois tragiques dans le monde réel.

Et on sait qu’en parallèle à l’invasion de l’Ukraine, la Russie mène une autre guerre sur les réseaux sociaux. Celle-là se déroule à coups de comptes piratés ou créés par l’intelligence artificielle, et regroupés en réseaux coordonnés pour disséminer la désinformation.

Lisez l'article du Scientific American (en anglais)

Il faut prendre très au sérieux les conséquences de telles attaques.

Le gouvernement Trudeau a compris l’importance d’agir. Malheureusement, son premier élan au bâton a raté la balle. Déposé juste avant les élections, le projet de loi C-36 est mort au feuilleton. De toute façon, il comportait des failles importantes.

Le gouvernement vient de reprendre l’exercice depuis le début. Un comité de 12 experts a été formé pour réfléchir à l’encadrement de la haine et de la désinformation sur les réseaux sociaux.

Ici, le Canada a la chance d’avoir un chemin défriché devant lui. Il serait fou de ne pas le suivre. L’Europe vient tout juste d’accoucher d’une proposition costaude destinée à enrayer la haine et la désinformation sur l’internet : la législation sur les services numériques.

La réglementation vise essentiellement à obliger les réseaux sociaux à évaluer les risques liés à leurs activités et à y réagir, sous peine de lourdes amendes.

Le coprésident du comité d’experts mandaté par le fédéral, le professeur Pierre Trudel, admet s’en inspirer.

« Plus le modèle est utilisé dans le monde, plus il a de chances d’être efficace. S’accrocher au modèle européen donne plus de garanties », nous a-t-il dit.

Le rapport du comité d’experts devrait être remis dès l’été. L’échéancier est rapide et c’est tant mieux. Ensuite, c’est le politique qui devra prendre le flambeau. Il devra lui aussi faire preuve de célérité, mais aussi de pédagogie.

Les conservateurs risquent malheureusement de transformer cet enjeu fondamental en guerre idéologique et de brandir des épouvantails. On criera à la censure. Sauf qu’il est parfaitement possible d’encadrer la haine sans verser dans la censure.

Elon Musk vient de se payer un joujou à 44 milliards US. Tant mieux pour lui. Mais c’est à nous de fixer les règles du jeu.

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