Il ne reste que huit semaines avant la fin de la session à Québec et les parlementaires n’ont toujours pas commencé à étudier la réforme du droit de la famille en lien avec la filiation.

Le projet de loi 2 comporte de nombreux articles qui concernent des personnes vulnérables : des conjoints victimes de violence et leurs enfants, ainsi que les personnes trans, puisque le projet de loi vise aussi à modifier le Code civil en matière de droits de la personnalité et d’état civil.

Message aux parlementaires : ce projet de loi ne peut être reporté une énième fois.

Pour l’instant, les partis se renvoient la balle : « C’est la faute du ministre de la Justice qui a mal organisé son calendrier. » « C’est la faute de l’opposition qui prend trop de temps à adopter le projet de loi 96. » Au lieu de chercher un coupable, les parlementaires doivent se mettre au travail.

Oui c’est vrai qu’il y a dans ce projet de loi des questions qu’on ne traite pas à la légère. Que ce soit l’encadrement du recours aux mères porteuses, le choix du genre ou la présomption de paternité pour les conjoints de fait, il s’agit toutefois de s’entendre sur des modalités, non pas de remettre en question ces droits reconnus par la société québécoise.

Concernant le genre, par exemple, la Cour supérieure a déjà statué que de nombreux articles du Code civil étaient discriminatoires. Dans sa décision rendue en janvier 2021, le juge Gregory Moore a bien établi qu’on ne peut plus forcer quelqu’un à s’identifier comme homme ou femme, ce qui oblige Québec à modifier les documents du Directeur de l’état civil. On n’a pas besoin de trois jours pour en débattre.

Même chose pour ce qui est d’accorder à un parent victime de violence le droit de requérir seul des soins pour son enfant mineur. Qui s’opposera à cela ? Quant au recours aux mères porteuses, il existe déjà au Québec. Le projet de loi vise à encadrer le processus pour bien protéger les parties impliquées, pas à débattre du bien-fondé de la maternité par substitution.

Les députés sont-ils capables de mettre la partisanerie de côté pour adopter ce projet de loi qui traîne depuis trop longtemps ?

Ça fait 20 ans qu’on souhaite mettre nos lois à jour afin qu’elles reflètent les nouvelles réalités familiales. En 2015, lorsque le professeur de droit de l’Université de Montréal Alain Roy a déposé son rapport, on croyait bien que ça y était. La ministre libérale de la Justice, Stéphanie Vallée, semblait réceptive même si le rapport avait été commandé par le Parti québécois. Mais son premier ministre, Philippe Couillard, l’était beaucoup moins. Résultat : le rapport du comité consultatif sur le droit de la famille est allé rejoindre d’autres excellents rapports… sur une tablette.

En 2018, un groupe transpartisan formé de huit anciens ministres signait un manifeste réclamant d’« enclencher sans délai le processus de réforme du droit de la famille ». Une sortie bien accueillie qui aurait dû faire débloquer les choses, mais qui n’a malheureusement pas eu l’effet escompté.

Qu’on en soit encore à plaider pour cette réforme en 2022 est désolant !

En mars 2019, la nouvelle ministre de la Justice Sonia LeBel annonçait la tenue de consultations publiques sur la parentalité et la conjugalité. Elle a ensuite scindé le projet de loi en deux, prétextant que c’était un trop gros morceau législatif. Sa décision est discutable, mais le résultat est qu’aujourd’hui, c’est la partie la plus consensuelle de la réforme qui se retrouve devant les parlementaires.

La CAQ a reporté le débat qui risque d’être le plus enflammé, celui portant sur les droits des conjoints de fait. Mais la réalité va les rattraper plus tôt que tard : dans son jugement sur l’affaire Lola c. Éric, la Cour suprême avait demandé au Québec de réfléchir à la réforme de son Code civil concernant les droits des conjoints de fait qu’elle jugeait discriminatoires.

Or l’avocate Anne-France Goldwater revient à la charge : elle a déposé l’an dernier un avis d’intention à la Cour supérieure dans lequel elle conteste la constitutionnalité des articles qui touchent le droit de la famille dans le Code civil du Québec ainsi que de l’article 47 de la Charte des droits et libertés de la personne. Les prénoms ont changé, mais la cause Nathalie c. Pierre s’annonce comme un remake d’un film qu’on a déjà vu. Québec ne pourra pas se mettre la tête dans le sable indéfiniment.

D’ici là, les élus de l’Assemblée nationale, y compris le ministre de la Justice, doivent faire preuve de bonne volonté et mettre les bouchées doubles pour éviter que le projet de loi 2 ne meure au feuilleton. Le document comporte 360 articles. Si on s’y met dès maintenant, on peut encore l’adopter avant le 10 juin. Les familles québécoises ont été suffisamment patientes.

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