Il était grand temps ! Après une décennie à regarder les médias tomber les uns après les autres, Ottawa a finalement déposé un projet de loi pour forcer les géants du web à négocier une entente commerciale avec les médias.

C’est une question d’équité. On ne peut pas laisser Google et Facebook qui accaparent 80 % des revenus publicitaires en ligne au Canada faire leur propre loi, comme au Far West.

Fort de ce monopole, ils livrent une concurrence déloyale aux médias canadiens dont ils utilisent le contenu sur leur plateforme sans en payer le prix.

En bafouant les règles du libre marché, ils minent les salles de nouvelles qui produisent l’information professionnelle de qualité et qui forment un pilier de notre culture et de notre démocratie.

Le bilan est alarmant. Depuis 2008, près de 450 médias d’information ont rendu l’âme à travers le pays, dont 63 depuis le début de la pandémie, calcule le gouvernement. Et la saignée se poursuit.

Il faut donc agir. Et vite.

Pour concocter son projet de loi C-18, il est heureux que le gouvernement se soit inspiré du modèle australien qui pourrait couvrir jusqu’à 30 % des frais des salles de rédaction, ce qui apporterait 150 millions aux médias canadiens. Tout ça, sans qu’il en coûte un cent aux contribuables.

La beauté du modèle australien est qu’il vise simplement à rétablir un sain rapport de force entre les géants du web et les médias, suivant une philosophie peu interventionniste qui a tout pour plaire aux conservateurs.

Si la loi est adoptée, les géants auront six mois pour s’entendre avec les médias – une période qu’on aurait souhaitée plus courte – faute de quoi ils feront face à un arbitrage de type « baseball ».

Dans ce type d’arbitrage, une seule des deux offres est retenue, intégralement. Cette habile mécanique force les deux parties à mettre elles-mêmes de l’eau dans leur vin afin d’éviter que leur offre soit rejetée en entier parce qu’elle est déraisonnable.

Autre élément clé : le projet de loi permettra aux membres des médias de négocier en groupe, pour empêcher les géants du web d’être plus généreux envers les plus grands acteurs et de n’offrir que des miettes aux plus petits dont la capacité de négociation est limitée.

Pour que la société soit gagnante, tous les médias doivent l’être. Et non pas seulement un média au détriment de l’autre. C’est l’écosystème au complet qui doit être préservé dans toute sa diversité.

Il faut une solution de groupe, pas des ententes à la carte comme celles que les géants du web ont conclues – à leurs conditions – avec certains médias canadiens dernièrement.

D’ailleurs, il ne faut pas s’y méprendre : ces ententes sont loin d’être la preuve que le projet de loi est superflu. Avant qu’Ottawa brandisse la menace d’une loi, Google et Facebook n’avaient aucune intention de délier les cordons de leur bourse. Et ils pourraient la refermer rapidement si cette menace disparaissait, puisque les ententes sont de courte durée.

Pour que le projet soit adopté d’ici juin, il reste maintenant à espérer qu’il ne s’enlise pas au Parlement dans une joute partisane qui nuirait à la démocratie qu’on cherche à protéger.

Mais déjà, on peut saluer les efforts de tous les partis qui se sont ralliés derrière le modèle australien. Voilà un bon pas en avant pour la démocratie qui est ébranlée sur tous les fronts, que ce soit avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie ou l’assaut du Capitole par des Américains refusant le résultat des élections.

Plus que jamais, il faut des médias forts pour protéger nos valeurs et nos droits.

À l’heure où les trois quarts de la population s’inquiètent de l’utilisation de fausses nouvelles comme arme de désinformation, les médias traditionnels restent la source d’information privilégiée des Canadiens, qui sont trois fois plus nombreux à leur faire confiance par rapport aux réseaux sociaux, selon le Baromètre de confiance Edelman.

Il est impératif d’assurer leur survie. Pour notre bien à tous. Pour la démocratie.

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