En matière d’énergie et d’environnement, il vaut parfois la peine d’écouter les conservateurs canadiens.

Parce que la solution à nos problèmes est souvent exactement l’inverse de celle qu’ils proposent. C’est le cas pour la flambée actuelle du prix de l’essence découlant des sanctions économiques imposées à la Russie.

Entendons-nous : on ne fera pas pleurer les habitants de Marioupol ou de Kyiv avec nos factures à la pompe. Parmi toutes les conséquences de cette guerre démente que mène Vladimir Poutine en Ukraine, on est loin de parler de la plus tragique.

Mais pour les Canadiens, il s’agit peut-être de la plus concrète.

Avec le litre d’essence qui frôle les 2 $, faire le plein peut coûter jusqu’à 200 $. Ça fait mal au portefeuille. Surtout que cette hausse risque de se répercuter sur le prix des aliments, des billets d’avion et d’autres biens de consommation, alors que l’inflation était déjà inquiétante.

Les conservateurs, le premier ministre albertain Jason Kenney en tête, profitent du contexte pour ressortir leurs vieilles marottes. Ils veulent abolir la taxe carbone, relancer l’industrie pétrolière canadienne, développer des pipelines.

À première vue, leurs propositions semblent logiques. Si la facture d’essence est déjà lourde, mieux vaut ne pas l’alourdir encore avec une taxe, n’est-ce pas ? Et pourquoi ne pas compenser le pétrole russe qui n’atteint plus les marchés par du pétrole canadien ?

Le hic, c’est que fixer un prix sur le carbone et réduire la production de pétrole sont les piliers d’une transition énergétique absolument cruciale pour l’avenir de la planète. L’alarmant nouveau rapport du GIEC nous l’a rappelé encore brutalement la semaine dernière.

Cette transition doit être menée de façon graduelle et cohérente. On ne peut la remettre en question à chaque soubresaut du prix du pétrole, aussi prononcé soit-il. Écouter les conservateurs reviendrait à modifier le cap d’un navire en fonction des vagues sur l’océan. Bonne chance pour arriver quelque part en naviguant ainsi.

Les conservateurs ont toujours eu une dent contre la « taxe carbone », un prix que le fédéral impose aux provinces qui n’en ont pas déjà fixé un. Elle touche notamment l’Ontario et l’Alberta, mais pas le Québec, qui possède son marché du carbone.

Le 1er avril, ce prix passera de 40 $ à 50 $ la tonne, ce qui se traduira par une hausse à la pompe de 2,32 cents. Par rapport au bond de 30 cents subi depuis une semaine, c’est assez mineur.

Surtout, les conservateurs omettent de dire que cet argent est retourné aux citoyens par l’entremise de leur déclaration de revenus. La taxe carbone ne réduit donc pas le pouvoir d’achat. Elle vise simplement à inciter les Canadiens à faire des choix plus écologiques.

Réfléchissons maintenant à ce qui se passe quand vous payez 200 $ à la pompe. Votre argent va directement enrichir les sociétés pétrolières, qui profitent grandement des prix actuels. Et, contrairement au fédéral, elles ne vous retournent rien.

Pierre-Olivier Pineau, expert en énergie à HEC Montréal, juge que le moment est idéal pour que le Canada cesse de subventionner son industrie pétrolière, comme le réclament l’OCDE et l’Agence internationale de l’énergie. On parle, selon certaines estimations, de plusieurs milliards de dollars annuellement.

« Personne ne va pleurer sur le sort de l’industrie lorsque le baril est à plus de 100 $ US. Si on n’enlève pas ces avantages fiscaux maintenant, quand le fera-t-on ? », demande-t-il.

Une partie des fonds épargnés pourrait justement être redirigée vers les ménages vulnérables qui subissent les contrecoups de la hausse du prix du pétrole.

L’envolée subite du cours de l’or noir devrait nous convaincre d’accélérer la transition énergétique. Pas de relancer la production de pétrole de façon frénétique et précipitée.

Les infrastructures qu’on construirait aujourd’hui pour répondre à une situation conjoncturelle devraient fonctionner pendant des décennies pour amortir leurs coûts initiaux. C’est le cas du projet Bay du Nord, à Terre-Neuve, à propos duquel le gouvernement Trudeau tarde à se brancher. La guerre ne doit pas servir d’excuse pour l’autoriser.

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Cette guerre laissera son lot de cicatrices horribles sur la planète. N’en déplaise aux conservateurs, on n’a vraiment pas besoin d’en rajouter.

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