Ce n’est pas parce qu’une décision s’impose qu’elle est nécessairement facile à prendre. Parlez-en à ceux qui décident d’arrêter de fumer.

Ou à Steven Guilbeault.

Le ministre de l’Environnement doit décider si le projet Bay du Nord, au large de Terre-Neuve, ira de l’avant. Jusqu’à un milliard de barils de pétrole actuellement enfouis sous la mer pourraient y être extraits d’ici 30 ans.

Si la science veut encore dire quelque chose, si le Canada est sérieux dans ses engagements climatiques, le choix est clair. Le ministre de l’Environnement, fort de son passé d’écologiste, le sait sans doute mieux que quiconque.

Ce projet doit être refusé.

M. Guilbeault, pourtant, semble hésiter. La décision devait être prise avant Noël. Mais il a demandé 90 jours de grâce. Ça nous mène au 6 mars, dans moins d’un mois.

Notre collègue Joël-Denis Bellavance a souligné avec justesse qu’il s’agit d’un important test de crédibilité pour le nouveau ministre de l’Environnement1. On pourrait ajouter que c’est le cas pour le gouvernement Trudeau au complet.

Bien des Canadiens se demandent encore si ce gouvernement est celui qui répondra à l’urgence climatique avec la vigueur qu’exige cet immense enjeu. Certes, Justin Trudeau envoie les bons messages. Et, dans un pays pétrolier, il a eu l’audace de fixer un prix sur le carbone d’un océan à l’autre.

Mais les écologistes ne lui ont jamais pardonné d’avoir acheté un pipeline. Plus fondamental : depuis son élection, les émissions de GES ont augmenté au pays.

La décision de Bay du Nord risque d’être déterminante pour le legs environnemental de ce gouvernement.

Dans un monde idéal, on n’aurait pas à avoir ces discussions. Au lieu d’acheter des VUS en nombre record, nous aurions réduit notre consommation de pétrole. Les entreprises en auraient pris acte et ne lanceraient pas de nouveaux projets.

Certains soulignent que le pétrole au large de Terre-Neuve est plus propre que celui des sables bitumineux de l’Ouest canadien. Et que tant qu’à continuer à en consommer, aussi bien se tourner vers celui-là. C’est vrai.

Le problème, avec ces arguments, est qu’ils équivalent à un aveu d’échec. Ils reviennent à dire qu’on ne croit pas nos propres paroles quand on affirme que le Canada deviendra carboneutre en 2050 (un engagement des libéraux). Et qu’il faut donc encore augmenter l’offre en pétrole pour plusieurs décennies.

La science nous dit aussi une chose : si on veut avoir une chance de limiter le réchauffement de la planète à 1,5 degré Celsius, la majorité des réserves de pétrole qui sont encore dans le sol doivent y rester2.

Le Canada a signé l’accord de Paris, qui vise exactement cet objectif. Steven Guilbeault vient aussi lui-même de s’engager à plafonner, puis à réduire les émissions du secteur pétrolier. S’il approuve Bay du Nord, il devra nous expliquer comment le chemin vers la diminution peut passer par une augmentation.

C’est vrai, le ministre a en main un rapport de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada qui donne le feu vert à Bay du Nord. On y mentionne que les émissions du projet ne seraient pas immenses – environ 2,4 % des émissions de Terre-Neuve et 0,04 % de celles du Canada.

ll reste que l’Agence internationale de l’énergie, pourtant réputée proche de l’industrie pétrolière, est claire : aucun investissement ne devrait être fait dans de nouveaux projets de combustibles fossiles si on veut atteindre la carboneutralité en 2050. L’Agence d’évaluation fédérale a d’ailleurs repris cet argument pour rejeter cette semaine le mégaprojet de GNL Québec. On voit mal pourquoi cela ne s’applique pas aussi à Bay du Nord.

Oui, un refus entraînerait des répercussions économiques. Terre-Neuve est endettée – mais en grande partie, justement, parce que son économie repose trop sur le pétrole. Persister dans la même voie ne ferait que pelleter le problème en avant.

Il y a aussi les répercussions politiques, les libéraux détenant six des sept sièges dans la province. Mais le dérèglement du climat n’a que faire de ces considérations.

Personne n’a dit que choisir l’environnement était facile. On verra bientôt si, pour le gouvernement Trudeau, les actes courageux suivent les belles paroles.

1. Lisez « Un piège pour Steven Guilbeault » 2. Lisez « Unextractable Fossil Fuels in a 1,5 °C World » (en anglais) Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion