Le monde a changé. Et pas pour le mieux.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie, cette semaine, marque clairement la perte d’influence des démocraties libérales qui avaient le haut du pavé depuis la chute du mur de Berlin, en 1989.

Cette attaque témoigne aussi du déclin de l’état de droit international, un des grands acquis de l’après-guerre, qui avait comme pierre d’assise le respect de la souveraineté des pays.

Or, les États-Unis, qui jouaient le rôle de shérif mondial depuis la fin de la guerre froide, n’ont plus la même dégaine. On l’a bien vu en Afghanistan, où leur départ dans la confusion a laissé le champ libre aux talibans, qui ont réduit la démocratie en miettes.

Quand le shérif n’est pas là, les cowboys font la loi.

Et un despote comme Vladimir Poutine ne se gêne plus pour redessiner la carte du monde selon sa vision de l’ancien empire soviétique.

Au mépris total des règles internationales.

Au mépris de la population qui paiera de son sang.

Au mépris de la démocratie en Ukraine.

Que la Russie piétine ainsi les conventions internationales n’est pas si étonnant. On l’a vu en Géorgie en 2008. On l’a vu en Crimée en 2014. Ce qui surprend davantage, c’est la réaction des Américains eux-mêmes à l’invasion de l’Ukraine.

Voyant leur ennemi juré de la guerre froide se lancer en guerre, malgré les avertissements du président Joe Biden, on aurait cru que la population se rallierait derrière son chef. La tradition veut qu’on laisse de côté les luttes partisanes, au moins pour un temps, pour faire face à une menace externe.

Mais loin d’enterrer la hache de guerre, l’ancien président Donald Trump a plutôt saisi l’occasion pour vanter le « génie » de Poutine, qui, soulignons-le à grands traits, avait grenouillé sur les réseaux sociaux pour favoriser son élection en 2016… et miner la démocratie américaine.

Poutine peut dire : mission accomplie.

Aujourd’hui, le mode de gestion autoritaire a la cote chez les républicains, qui sont plus nombreux à appuyer le président russe que leur propre président1. C’est incroyable !

Décidément, la démocratie est en berne.

Sur tous les fronts.

Ces républicains qui continuent de dénoncer, à tort, le truquage des dernières élections savent-ils seulement comment le président Poutine organise un scrutin ? Eux qui aspergent le président Biden d’insultes voient-ils comment les opposants politiques en Russie ont la fâcheuse habitude de mourir subitement ?

Peu importe, à l’ère du tribalisme politique, on suit les idées du chef et on diabolise l’adversaire.

Malheureusement, ce clivage politique est en train de traverser la frontière, comme on l’a vu lors du siège qui a paralysé Ottawa durant trois semaines.

Entendons-nous : que des gens manifestent contre les mesures sanitaires est tout à fait légitime. Mais quand leur objectif est de renverser le gouvernement, ça ne va plus du tout.

On aurait souhaité que tous les élus condamnent d’une même voix cette attaque contre la démocratie. Mais non.

Tous les partis ressortent avec un œil au beurre noir de ce triste épisode qui a miné encore plus la confiance des Canadiens envers les institutions démocratiques.

À preuve, la majorité de la population pense que les dirigeants gouvernementaux cherchent délibérément à la tromper, un bond de 12 points2.

Il est urgent de restaurer la confiance qui a été notamment sapée par les réseaux sociaux, où l’on cultive la haine et la désinformation, où l’on divise la population au lieu de favoriser un dialogue constructif.

Car pendant que nos démocraties se déchirent, les dictatures profitent de nos faiblesses pour marquer des points.

Il ne faut pas faire l’autruche : l’invasion de l’Ukraine risque d’inspirer d’autres régimes autocratiques, voyant que les démocraties sont restées les bras croisés.

Il est vrai que les puissances mondiales ont réussi à se concerter pour imposer des sanctions à la Russie. Tant mieux.

Mais à court terme, ces sanctions ne feront pas reculer la Russie, d’autant que la Chine est de son côté. Et l’empire du Milieu, dont l’économie a progressé trois fois plus vite que celle des États-Unis depuis 1990, est aujourd’hui la deuxième puissance mondiale.

Cela donne le cran à ses dirigeants d’affirmer à la face du monde la supériorité de leur régime autocratique. Avec l’invasion de l’Ukraine, la Chine pourrait maintenant être tentée de prendre les commandes de Taiwan.

On le voit, la planète se sépare en deux. Et dans ce nouvel ordre mondial, le Canada est mal positionné, puisque sa politique internationale est fondée sur le respect des règles internationales, des grandes institutions comme l’ONU… dont le Conseil de sécurité est maintenant paralysé par la Chine et la Russie.

Le nombre de personnes vivant dans une démocratie a chuté à 46 %, en 2021, selon The Economist3. Un déclin considérable de presque 4 points. Et 2022 n’augure guère mieux. À moins qu’on trouve des façons de travailler ensemble.

1. Lisez un article du Washington Post (en anglais) 2. Consultez le baromètre de confiance Edelman 3. Lisez un article de The Economist Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion