Jeux de coulisses, émotions fortes, poings sur la table, documents-surprises… Il y a eu plus de rebondissements cette semaine dans le dossier du REM de l’Est que dans les quatre derniers épisodes de District 31.

L’avantage : cette mini-crise aura permis d’identifier des problèmes majeurs dans le projet piloté par CDPQ Infra. À commencer par l’absence de la Ville de Montréal et de sa mairesse à la table où se prennent les vraies décisions. La Caisse répond que Valérie Plante siège déjà au comité stratégique et au comité d’experts qui doit se prononcer sur l’allure et l’aménagement du projet, mais on s’entend que ce n’est pas là que se prennent les décisions cruciales.

Si le REM de l’Est voit le jour, il doit se faire avec la participation de Montréal, et non pas avec son accord. La nuance est importante. Même le premier ministre Legault l’a reconnu après avoir déclaré plus tôt cette semaine que la balle était dans le camp de Valérie Plante. Après tout, c’est sur son territoire que se déploiera cette nouvelle infrastructure. La moindre des choses, c’est que Montréal participe à sa conception.

Ce nouveau lieu de décision est à inventer. On devra y retrouver la Ville, mais aussi le gouvernement du Québec ainsi que l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) et la Société de transport de Montréal (STM), qui ont leur mot à dire dans leur champ d’expertise.

La ministre responsable de la Métropole et de la région de Montréal, Chantal Rouleau, n’a visiblement pas apprécié le lapin que lui a sorti l’ARTM cette semaine en laissant fuiter un rapport négatif sur le REM de l’Est. Mme Rouleau devra se faire plus rassembleuse, car tout ce beau monde doit apprendre à travailler ensemble.

Cela dit, il est important de revenir sur ce fameux rapport qui a semé la zizanie à l’Assemblée nationale. Contrairement à ce qu’a dit la ministre Rouleau, qui a intimé à l’organisme de retourner « faire ses devoirs », le rapport n’a pas que des défauts. C’est la mission de l’ARTM d’étudier l’efficacité et l’effet d’une nouvelle offre de service en transports en commun. Le hic, c’est qu’elle a dû analyser l’impact d’un éventuel REM de l’Est avec les données à sa disposition, soit celles des années 2013 et 2018. Or, le monde a changé depuis. Et il risque de changer encore.

L’ARTM n’a pas pu anticiper l’incidence du télétravail sur l’achalandage à l’heure de pointe ni sur les déplacements durant la journée maintenant que nos horaires sont structurés différemment.

Or, il faut cesser de réduire les transports collectifs à un simple moyen pour se rendre au travail et les envisager comme un mode de déplacement en soi.

À ce titre, on peut reprocher au rapport de l’ARTM d’être un peu trop conservateur. Il ne considère pas le potentiel de développement dans l’Est ni d’éventuels incitatifs qui encourageraient la population à délaisser l’auto au cours des prochaines années. Qui aurait pu prévoir il y a 20 ans la popularité de BIXI et de Communauto ? De la même façon, l’ARTM évoque une éventuelle cannibalisation de la ligne verte ou de l’inefficace Train de l’Est par le futur REM de l’Est. Mais ici, c’est une question de vision. Comme le dit la professeure de Polytechnique Montréal Catherine Morency, on ne parle jamais de cannibalisation quand on construit une autoroute à quelques kilomètres d’une autre. Le temps est venu de considérer les usagers des transports en commun au même titre que les automobilistes : ils ont aussi droit à plus d’une option pour se déplacer. Les changements climatiques nous obligent à accélérer cette réflexion et le REM de l’Est, ou tout autre projet de transport structurant, est une occasion unique de penser autrement. C’est d’ailleurs la philosophie que Projet Montréal tente de mettre de l’avant, d’où l’importance que la mairesse prenne part aux décisions.

D’ici à ce que Valérie Plante parvienne à s’assoir à la table des décideurs, la prochaine étape déterminante sera le dépôt du rapport des experts. Ce comité formé d’une quinzaine d’acteurs de la vie montréalaise – parmi lesquels, précisons-le, on ne trouve aucun spécialiste en génie des structures – a pour mandat d’émettre des recommandations sur l’architecture et l’intégration du projet. Ce rapport sonnera sûrement l’heure de vérité pour la Caisse.

Que fera l’institution si, par exemple, les experts remettent en question le choix d’une structure surélevée au centre-ville et recommandent un plus long – et plus coûteux – tunnel ? Acceptera-t-elle de revoir le tracé et de faire des études de faisabilité ?

Rappelons qu’au départ, le moteur du projet du REM était le modèle d’affaire de CDPQ Infra. Un modèle qui reposait sur la rapidité d’exécution, l’efficacité du système mis en place et le contrôle des coûts afin de générer des profits.

En cours de route, force est de constater que le REM de l’Est ne se résume plus à une simple infrastructure de transport qu’on déploie aveuglément sur un territoire. Il doit être conçu comme un axe d’aménagement et de développement et répondre aux besoins de la population. Pour y arriver, il faudra ralentir la cadence. Ce type de projet demande de la réflexion, de la planification, d’autres études et beaucoup d’allers-retours entre la table à dessin, l’ensemble des décideurs et la population. Ah, et de la transparence aussi !

La Caisse acceptera-t-elle de monter dans ce nouveau train bien différent du premier, qu’elle copiloterait avec Montréal et Québec, mais qui, finalement, pourrait devenir un projet emballant et structurant pour les prochaines décennies ? C’est à elle de nous le dire. Et au gouvernement Legault de faire atterrir un projet gagnant pour l’est de Montréal qui justifiera des investissements de plusieurs milliards de dollars.

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