Cher Monsieur Rousseau, on vous a vilipendé pour votre discours unilingue en anglais devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. Mais, en rétrospective, on aurait plutôt dû vous dire merci.

Bien sûr, ce discours que vous vous êtes entêté à prononcer en anglais, malgré les avertissements de votre entourage, était insultant pour le public francophone. Et vous n’avez pas arrangé les choses en vous vantant d’avoir réussi à vivre au Québec depuis 14 ans sans jamais apprendre le français.

Sauf que votre mépris décomplexé du français a eu le mérite de rappeler à quel point Air Canada se balance de la Loi sur les langues officielles depuis des décennies. Votre attitude a démontré qu’il faut plus de dents pour protéger notre langue.

Ce rappel ne pouvait pas mieux tomber, puisque le gouvernement fédéral s’apprête à redessiner la Loi sur les langues officielles.

L’ancienne ministre Mélanie Joly a déjà donné un bon tour de vis en déposant le projet de loi C-32 à la mi-juin. Son ambitieuse réforme devait notamment officialiser le traitement asymétrique des deux langues officielles, afin de mieux défendre le français, qui est davantage menacé.

Or, ce projet est mort au feuilleton avec le déclenchement des élections. Mais les libéraux ont promis de le ressusciter au cours des 100 premiers jours de leur mandat, ce qui arrive dans pratiquement deux semaines, puisque le décompte a commencé lors de la prestation de serment du nouveau cabinet, soit le 27 octobre.

La ministre Ginette Petitpas Taylor, qui a hérité du dossier des Langues officielles, a donc de la pression pour respecter cette promesse électorale. Mais il ne faudrait pas que son empressement l’empêche de donner tout le mordant nécessaire à cette loi, qui n’a été revue qu’une seule fois depuis sa création, il y a plus de 50 ans.

L’occasion ne repassera pas de sitôt. Il ne faut donc pas rater notre chance de mettre fin à des comportements qui se répètent inlassablement depuis des décennies, au nez et à la barbe des commissaires aux langues officielles qui se succèdent.

Air Canada en est le plus triste exemple. Déjà, dans les années 1970, le Commissaire déplorait « l’attitude négative » d’Air Canada face au français et constatait que le respect du choix linguistique des passagers n’était pas une grande priorité.

Décennie après décennie, Air Canada a continué de s’attirer des plaintes, malgré des centaines d’enquêtes et de recommandations. Un recours s’est même rendu jusqu’à la Cour suprême. Rien n’y a fait.

Le service aux voyageurs en français n’est toujours pas à la hauteur, ce qui est bien malheureux pour une société bâtie avec les deniers publics qui est un puissant symbole canadien, avec la feuille d’érable sur ses appareils.

Ce n’est pas mieux à l’interne. Les plaintes déposées par les employés au fil des ans témoignent de problèmes répandus et récurrents dans l’organisation du travail : les outils, la formation et la supervision sont souvent offerts en anglais seulement.

Comme votre discours, Monsieur Rousseau. L’exemple vient du haut de la pyramide.

Vous direz qu’Air Canada n’est pas un cas unique. C’est malheureusement vrai. Ailleurs dans la fonction publique, on constate aussi que les mêmes plaintes reviennent en boucle depuis des décennies, malgré les recommandations répétées du Commissaire.

Si on veut que la Loi sur les langues officielles soit davantage qu’une jolie façade, il est essentiel de donner plus de pouvoir au Commissaire, notamment le pouvoir de conclure des ententes exécutoires avec les organisations fautives ou de rendre une ordonnance, deux mesures déjà prévues dans le projet de loi C-32.

Mais n’ayons pas peur d’aller plus loin, en ajoutant la possibilité d’imposer des sanctions financières. Le Commissaire lui-même réclame cet outil. Les groupes de défense du français aussi.

On tourne en rond depuis des décennies. Votre discours en anglais nous a ouvert les yeux. Pour cela, on vous dit merci, Monsieur Rousseau. Ou plutôt : thank you so much.

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