Première femme à déposer un budget au Canada, Chrystia Freeland a choisi de l’encre rose pour rédiger son plan de relance ouvertement féministe. Du rose qui tire franchement sur le rouge, puisqu’il n’y a pas l’ombre d’un retour à l’équilibre budgétaire.

Même si la reprise économique est plus vigoureuse que prévu, Ottawa ne se gêne pas pour mettre la pédale dans le tapis pour stimuler la relance. En annonçant 101 milliards d’investissements sur trois ans, le gouvernement vise juste en haut de la fourchette qu’il avait proposée l’automne dernier, de 70 à 100 milliards.

Fallait-il en faire autant ?

PHOTO PATRICK DOYLE, REUTERS

La ministre des Finances du Canada, Chrystia Freeland, a présenté lundi son budget à Ottawa.

La ministre des Finances répond, à juste titre, que la pandémie a creusé les iniquités et que la reprise laisse encore bien des gens de côté. Elle offre donc de l’argent pour les travailleurs à faibles revenus, les aînés qui ne roulent pas sur l’or, les jeunes, les PME qui se sont fait damer le pion par les géants du web durant le confinement.

Tout pour plaire au NPD, qui avait déjà l’intention d’endosser le budget avant même son dépôt, ce qui assure la survie du gouvernement à court terme.

Reste que ce budget est électoraliste.

La preuve la plus flagrante ? Dans le cadre d’une bonification fort attendue du Supplément de revenu garanti, Ottawa prend soin d’envoyer aux personnes de 75 ans et plus un chèque de 500 $ en août… juste à temps pour des élections à l’automne.

Du marketing électoral pur jus !

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Si ce budget cherche à plaire à tous, il risque de créer des tiraillements avec Québec, qui n’y a trouvé aucune réponse à sa demande d’augmenter les transferts en santé.

Au contraire, Ottawa revient à la charge avec son intention d’imposer des normes nationales non seulement pour les soins de santé de longue durée, mais aussi pour la santé mentale.

Frictions garanties avec le gouvernement de François Legault, qui aura raison de faire respecter la compétence du Québec.

Par-dessus le marché, il est loin d’être clair que Québec pourra utiliser à sa guise l’argent qu’Ottawa veut investir pour déployer un réseau national de garderies, mesure phare de ce budget de 864 pages.

On se réjouit qu’Ottawa exporte à travers le Canada le modèle québécois qui a permis d’augmenter la participation des femmes au marché du travail et d’aider les tout-petits à mieux se développer.

Mais ce serait incongru qu’Ottawa force Québec à ajouter la part qui lui revient — environ 7 milliards sur 30 milliards, selon son poids démographique — dans un réseau de garderies qui existe déjà.

Il est vrai que des investissements seraient les bienvenus, alors que 50 000 enfants québécois patientent sur la liste d’attente des CPE. Mais Québec a aussi besoin d’argent pour réduire son déficit d’ici sept ans. Ce n’est pas à Ottawa de lui dicter sa conduite.

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Pour financer toutes ces nouvelles dépenses récurrentes, si louables soient-elles, Ottawa ne propose aucune véritable augmentation d’impôt. Ah, il y a bien une taxe sur les voitures de plus de 100 000 $ et les bateaux de plus de 250 000 $. Mais c’est plus un symbole qu’autre chose.

Les libéraux misent sur la croissance économique et la faiblesse des taux d’intérêt pour soutenir le poids de la dette, qui a bondi de 30 % à 50 % du produit intérieur brut (PIB).

Il est vrai que cette recette a bien fonctionné dans le passé.

Mais avec une telle stratégie, nos finances publiques sont plus vulnérables à un futur choc économique ou à une remontée des taux d’intérêt.

Le contexte n’est assurément pas favorable à des augmentations d’impôt tous azimuts, alors qu’on veut relancer l’économie. Mais quand la pandémie sera derrière nous, il ne faudra pas se surprendre si le gouvernement nous refile l’addition.

Ça tombe bien, les élections aussi seront derrière.

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