Dans la Rome antique, quand un général victorieux paradait dans les rues pour célébrer son triomphe, un serviteur posté juste derrière devait lui murmurer sans cesse à l’oreille : « Souviens-toi que tu n’es qu’un homme. »

Ces sages paroles, le premier ministre François Legault devrait les garder en tête, alors que la Coalition avenir Québec (CAQ) trône dans les sondages en cette fin de session parlementaire houleuse.

Le gouvernement jouit d’une popularité qui n’a fait que grandir avec la pandémie, confirme un récent sondage Léger. Élue avec 37 % des voix, la CAQ récolte aujourd’hui 46 % des intentions de vote, tandis que tous les partis de l’opposition sont en recul par rapport à leur résultat électoral de 2018.

Si le scrutin d’octobre prochain avait lieu aujourd’hui, la CAQ ferait élire 96 députés et raflerait plus des trois quarts des 125 circonscriptions. Du jamais vu depuis l’élection des libéraux de Robert Bourassa en 1985.

Face à ce triomphe annoncé, le risque est de tomber dans l’arrogance. Et quand l’ego ne passe plus dans la porte, on devient son propre ennemi.

Le premier ministre le rappelle constamment à ses députés – et à lui-même –, ce qui n’a pas empêché les dérapages à l’Assemblée nationale ces derniers mois.

Cette semaine encore, François Legault s’en est pris de façon peu élégante au chef parlementaire de Québec solidaire à propos du baseball.

Au lieu de répondre à la question fort légitime de Gabriel Nadeau-Dubois, qui voulait savoir si la CAQ était favorable à une subvention « à coût nul » pour les contribuables, le premier ministre s’est mis à dénoncer le niveau de langage de son rival qui avait comparé les horribles repas servis en CHSLD à de la « bouette ». Coloré, peut-être. Mais certainement pas indigne d’un chef de parti, comme l’a prétendu M. Legault, qui est plutôt celui qui a manqué de hauteur.

De la hauteur, le premier ministre en a aussi manqué le jour de la commémoration de la mort de Joyce Echaquan. Lui qui s’obstine à ne pas reconnaître le racisme systémique, il avait alors tenu des propos indignes d’un chef d’État.

À force de gouverner sans partage durant la pandémie, la CAQ semble avoir oublié qu’on peut ne pas être d’accord avec elle… tout en étant un fier Québécois.

On l’a vu lorsque François Legault a traité Gabriel Nadeau-Dubois de « woke », c’est-à-dire une personne « qui veut nous faire sentir coupables de défendre la nation québécoise », selon sa définition.

On l’a vu aussi lorsque Simon Jolin-Barrette a traité de « complotiste » le député libéral Marc Tanguay parce qu’il remettait en question – de manière très légitime, encore une fois – l’état d’urgence qui permet à la CAQ de gouverner par décret depuis plus de 600 jours.

Et le ministre a aussi trouvé le moyen de se crêper le chignon avec la juge en chef de la Cour du Québec, à propos du Tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de violence conjugale, et avec le milieu des affaires, à propos de la réforme de la loi 101.

Malgré ces escarmouches, le bilan du gouvernement est positif. La CAQ est un gouvernement d’action qui a su prendre en main la gestion de la pandémie.

Parmi ses faits d’armes des derniers mois, on note le succès de la campagne de vaccination, qui était un enjeu de taille. Et aussi l’instauration du passeport vaccinal qui, malgré la controverse qu’il suscitait au départ, a permis à la population de retrouver une vie un peu plus normale.

L’adhésion du public aux mesures sanitaires a d’ailleurs été payante, puisque l’économie de la province va rebondir de 6,5 % cette année – davantage qu’ailleurs au Canada et dans le monde –, ce qui a donné une marge de manœuvre au ministre des Finances, Eric Girard, pour s’attaquer à la pénurie de main-d’œuvre et aider les moins nantis aux prises avec l’explosion de l’inflation, dans son mini-budget.

On peut aussi féliciter la vice-première ministre Geneviève Guilbault qui a pris à bras le corps les graves problèmes que sont les féminicides et la violence chez les jeunes : escouade Centaure contre le trafic d’armes, bracelets anti-rapprochement pour les victimes de violence conjugale, financement de groupes communautaire pour prévenir en amont la criminalité chez les jeunes, projet de loi 18 pour changer la culture policière…

Chapeau ! On va dans la bonne direction.

Malgré tout, des failles commencent à apparaître dans l’armure de la CAQ.

Oui, les deux tiers des Québécois sont satisfaits du gouvernement. Mais à peine le tiers trouve que le gouvernement a fait un bon travail en ce qui concerne l’accès à un médecin de famille et la gestion des CHSLD durant la pandémie.

Ils ne sont guère plus impressionnés par la gestion du réseau de la santé, où le manque de personnel mine les urgences. Cela a d’ailleurs forcé le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, à faire marche arrière après s’être peinturé dans le coin avec la vaccination obligatoire des infirmières.

On ne peut pas reprocher au Parti libéral d’exploiter ces faiblesses en réclamant sans relâche une commission d’enquête publique sur la gestion de la pandémie. Après l’hécatombe qu’a connue le Québec, c’est bien la moindre des choses. Mais la cheffe Dominique Anglade a dépassé les bornes en accusant le premier ministre d’avoir envoyé des aînés « à l’abattoir » lors de la crise dans les CHSLD.

Décidément, la bouilloire sifflait au Salon bleu, à l’approche de la fin de la session vendredi. Mais après 20 mois de gestion en temps de pandémie, la fatigue accumulée peut expliquer quelques débordements.

Alors, bonnes vacances, chers politiciens !

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion