Vous savez qu’un projet de loi est réellement controversé quand ceux qui devraient normalement l’applaudir sont inquiets et le dénoncent.

C’est ce qui se passe avec le projet de loi 103. Ce projet dit « omnibus » contient un fatras de mesures qui touchent jusqu’au rembourrage des sofas. Mais ce sont celles concernant le monde agricole qui font des flammèches.

Les changements proposés ouvrent la porte aux petites fermes à échelle humaine. À la culture bio. À l’agriculture de proximité. Une petite révolution réclamée de longue date. Et qui est emballante au moment où de nouveaux modèles agricoles émergent et où on parle d’autonomie alimentaire pour le Québec.

Mais voilà que la démarche est décriée par des alliés naturels de cette approche.

On pense à l’Institut Jean-Garon, fondé par feu Jean Pronovost, l’homme de la « commission Pronovost » qui, en 2008, avait proposé un tel virage.

Ou à Équiterre, une organisation environnementale à l’origine des paniers bios, il y 25 ans.

Parmi les gens qu’on croyait voir sourire et qui grognent, on trouve aussi la Fédération de la relève agricole du Québec. Le Centre québécois du droit de l’environnement. L’organisme Vivre en ville.

La puissante Union des producteurs agricoles fait écho à leurs craintes.

Que se passe-t-il ?

Essentiellement, ces gens saluent l’objectif d’ouvrir le monde agricole à de nouveaux modèles. Mais ils se méfient des moyens. Pour favoriser l’émergence de petites fermes, il faut morceler les terres agricoles. Or, sans balises, plusieurs craignent que cela n’accélère l’étalement urbain.

On sait que les terres agricoles sont sous forte pression dans plusieurs régions du Québec, en particulier autour de Montréal. Les promoteurs les convoitent pour ériger des bungalows et des centres commerciaux. Or, il est plus difficile de défendre 100 petits lots agricoles qu’un seul gros. Et les promoteurs rêvent justement d’acheter en pieds carrés plutôt qu’à coups de 100 hectares.

Le projet de loi vient aussi modifier la grille d’analyse de la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ), le chien de garde par qui tout dézonage agricole doit passer. Cela ajoute aux craintes.

Le ministre de l’Agriculture du Québec, André Lamontagne, affirme que les inquiétudes exprimées relèvent de « l’imagination ». Il est vrai que ce n’est pas tout le monde qui les partage. L’Union paysanne, par exemple, est pour le projet de loi. La Commission de protection du territoire agricole elle-même a déposé un mémoire qui y est favorable.

Mais quand autant de gens « imaginent » exactement les mêmes risques, on ne peut les écarter du revers de la main. Le ministre André Lamontagne a le devoir de rassurer autant le monde agricole que les citoyens sur les effets des changements législatifs qu’il propose.

Ces garanties du ministre sont d’autant plus nécessaires que la problématique du dézonage agricole est criante. Et que la CAQ, malheureusement, ne peut être crue sur parole sur ces enjeux.

Au Québec, les meilleures terres agricoles se trouvent là où la population est aussi concentrée : dans la vallée du Saint-Laurent. Le documentaire Québec, terre d’asphalte, du journaliste et agronome Nicolas Mesly, montre à quel point cela entraîne une concurrence féroce pour les sols.

Loin de s’ériger comme un rempart contre la perte de terres agricoles, le gouvernement Legault va parfois jusqu’à l’encourager. Rappelons-nous l’autorisation de transformer la vocation de 17 millions de pieds carrés de terres agricoles dans la MRC de Montcalm, au nord de Montréal. Ou l’obsession pour le troisième lien à Québec, qui favoriserait l’étalement urbain.

Oui aux petites fermes, donc. Mais le ministre André Lamontagne doit nous démontrer que son plan pour les créer ne conduira pas à un grignotement des terres agricoles.

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