Quarante-huit heures après le discours controversé du grand patron d’Air Canada, on se demande ce qui est le pire.

Qu’il se soit entêté à prononcer ce discours uniquement en anglais, devant un public francophone, en sachant fort bien que cela nuirait à la réputation de son entreprise ?

Qu’il se vante de pouvoir vivre au Québec depuis 14 ans sans avoir eu à apprendre le français ?

Ou qu’il ait trouvé le moyen d’être insultant… tout en s’excusant ?

Michael Rousseau tourne le fer dans la plaie en promettant maintenant d’améliorer son français, parce que c’est la « langue d’usage au Québec » alors qu’il s’agit de la langue officielle du Québec, de la langue commune.

Mais peut-on s’en surprendre ? Son attitude reflète simplement le comportement déplorable d’Air Canada, qui a été écorché si souvent par le Commissariat aux langues officielles à cause des manquements répétés à son service en français.

C’est particulièrement désolant de la part d’une ancienne société d’État qui devrait montrer l’exemple.

Mais que voulez-vous ? Quand on est un quasi-monopole, on peut tout se permettre. Même prononcer sans aucune gêne un discours en anglais en plein cœur de Montréal.

Mais le pire, ce n’est pas ce discours. Non, c’est le fait que la communauté des affaires a applaudi.

Parmi les 320 personnes qui participaient au déjeuner-causerie, pas un chat ne s’est levé pour dénoncer Michael Rousseau. Personne n’a quitté la salle en guise de protestation. Et dans la foulée de cette controverse, les chefs d’entreprises du Québec n’ont pas cru bon de se lever en bloc, comme les politiciens de tous les partis confondus, pour affirmer leur soutien à la protection du français.

Voilà le signe qu’il y a quelque chose qui cloche, bien au-delà d’Air Canada.

M. Rousseau est loin d’être le seul patron d’entreprise montréalaise à ne pas parler un mot de français. D’autres multinationales, comme Couche-Tard, CGI et SNC-Lavalin, ont un patron unilingue anglophone. La Banque Laurentienne a même nommé une présidente qui travaille de Toronto, même si le siège social est à Montréal.

Or, quand le patron ne parle pas français, tous ceux qui travaillent sous ses ordres sont forcés de s’exprimer dans la langue de Shakespeare, ce qui se reflète dans l’entreprise au complet.

On a beau avoir un comité de francisation, quel employé osera se plaindre quand le grand patron lui-même parle seulement anglais ?

Alors le sujet reste tabou. Jusqu’à ce qu’une tempête médiatique éclate, comme à la Caisse de dépôt et placement du Québec, il y a 10 ans.

Mais cette nouvelle controverse linguistique arrive au pire moment pour la communauté des affaires, qui se plaint des contraintes prévues dans le projet de loi 96, qui donnera plus de muscles à la loi 101.

L’attitude du patron d’Air Canada démontre qu’il y a un problème avec le français dans le monde du travail. Et ce problème, il vient d’en haut. Du manque de leadership des grands patrons.

En matière de parité et de diversité, beaucoup d’efforts ont été faits pour favoriser l’embauche de femmes et de membres de communautés culturelles dans des postes clés. D’accord, les progrès sont trop lents : le nombre de femmes sur des C.A. est passé de 11 % en 2015 à 22 % aujourd’hui. Mais au moins, on les mesure, on y accorde une importance. Ça fait partie intégrante de la saine gouvernance.

Il devrait en être de même pour le français.

Le message doit venir d’en haut. Les patrons doivent s’investir de la mission de faire rayonner la langue. C’est la meilleure façon d’éviter les crises qui nuisent à leur réputation. Et le meilleur moyen d’éviter qu’on leur impose des règles dont ils ne veulent pas.

On dit que la meilleure défense, c’est l’attaque. Alors, que les présidents d’entreprises passent à l’action. Qu’ils se lèvent et promeuvent le français.

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