Lorsque Chrystia Freeland était ministre des Affaires étrangères, un de ses livres préférés était un essai récent du politologue américain Robert Kagan, intitulé The Jungle Grows Back.

La jungle repousse…

Une excellente métaphore pour décrire l’état actuel du monde et des relations internationales.

Un monde dont le gendarme – les États-Unis – n’est plus que l’ombre de lui-même.

Un monde où la rivalité entre les nations et la loi du plus fort priment souvent le multilatéralisme.

Un monde où les coups de boutoir assénés aux démocraties – de l’extérieur, mais aussi de l’intérieur – les affaiblissent de plus en plus. Et où leurs adversaires continuent d’aiguiser leurs couteaux…

Ce monde, c’est celui dans lequel Mélanie Joly tentera de tirer son épingle du jeu.

Bienvenue dans la jungle, madame la ministre !

Plusieurs, avant vous, se sont heurtés à un mur. Un peu comme dans la pub du gouvernement du Québec sur le passeport vaccinal.

Si bien qu’on assiste au phénomène des portes tournantes au ministère des Affaires étrangères, ce qui est terriblement embarrassant à la fois pour ceux qui l’occupent et pour le premier ministre Trudeau, dont le bilan sur la scène internationale est insatisfaisant.

Le ministre sortant, Marc Garneau, n’a pas été à la hauteur des attentes.

Son prédécesseur, François-Philippe Champagne, s’est démené avec l’énergie du désespoir pour obtenir un siège au Conseil de sécurité de l’ONU, mais il a démarré trop tard. Il a été humilié par l’échec de la démarche.

Stéphane Dion avait commencé un travail de réflexion sur la nature de notre politique étrangère dans ce monde chaotique, mais il a rapidement été remplacé par Chrystia Freeland après l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche.

Chrystia Freeland voulait pour sa part défendre bec et ongles « l’ordre international fondé sur des règles », mais elle a essentiellement, pendant toute la durée de son (court) mandat, tenté de sauver l’accord de libre-échange nord-américain.

Alors oui, Mélanie Joly vient d’obtenir une formidable promotion.

Oui, elle a maintenant un poste prestigieux. Certains de ses prédécesseurs – à commencer par Lester B. Pearson, qu’elle a cité après sa prestation de serment – ont permis au Canada de faire croître son influence et sa pertinence dans le monde.

Mais elle a aussi un poste qui équivaut à tenter de faire voler un hélicoptère au beau milieu de la jungle.

Avec un appareil, disons-le, qui a un urgent besoin d’être rénové.

Le ministère des Affaires étrangères devrait être réformé. Il n’est plus reconnu comme un incubateur de réflexion et d’innovation, c’est le moins qu’on puisse dire.

Un des atouts de la ministre, c’est qu’elle aura l’oreille de Justin Trudeau. Ça devrait doper sa crédibilité et sa capacité d’influence à l’étranger.

Reste à voir, cependant, jusqu’à quel point le bureau du premier ministre lui laissera les coudées franches.

Elle aura besoin d’une certaine marge de manœuvre si elle veut opérer de nécessaires changements. Elle devra aussi être bien conseillée.

Mélanie Joly aurait tout avantage, d’ailleurs, à procéder rapidement à une mise à jour de notre politique étrangère.

Bien des experts réclament, avec raison, une grande réflexion à ce sujet, qui pourrait mener à un nouveau livre blanc.

Ça permettrait au Canada de redéfinir sa place dans le monde ainsi que ses objectifs, mais ça donnerait aussi à la nouvelle ministre la chance de bénéficier d’avis éclairés à ce sujet.

Chose certaine, nous avons à tout le moins besoin d’une stratégie pour la région indopacifique, qui nous permettrait notamment d’ajuster nos violons quant à l’attitude à adopter à l’égard de la Chine.

Certains se demandent d’ailleurs si notre manque de fermeté face à Pékin n’est pas à la source du fait que nous n’avons été ni impliqués ni consultés lors de l’élaboration d’une nouvelle alliance de sécurité par les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni (AUKUS).

Eh oui, dans la jungle d’aujourd’hui, même la loyauté de vos alliés traditionnels s’effrite plus qu’auparavant !

Mélanie Joly a affirmé mardi que son approche allierait humilité et audace. Dans cette jungle, il lui faudra également beaucoup de courage, d’aplomb et de perspicacité.

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