Qu’est-ce que ça prend au juste pour qu’on décide de protéger le patrimoine au Québec ?

C’est la question qui se pose quand on apprend la vente récente de la maison historique Chevalier, ce superbe ensemble patrimonial qui borde la ruelle des Parapluies, au cœur de la Place-Royale, dans le Vieux-Québec.

Ce qu’on appelle la maison Chevalier est en fait formé de trois demeures : la première, qui a donné son nom au lieu, a été construite en 1752, ravagée par les flammes puis reconstruite en 1762. Les deux autres datent de 1675 et de 1695. L’ensemble a été vendu à Gestion 1608, bras immobilier du Groupe Tanguay, propriétaire d’Ameublement Tanguay, dont le siège social tout droit sorti de Las Vegas avec sa devanture en miroirs est visible lorsqu’on roule sur l’autoroute 40, à Québec.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

Jusqu’en 2015, la maison Chevalier proposait des expositions organisées par le Musée de la civilisation, propriétaire de l’édifice et responsable de la programmation.

Mais depuis quelques années, seules les voûtes étaient accessibles au public, qui pouvait assister à des activités culturelles.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment pouvons-nous laisser aller une des pierres angulaires du « berceau de l’Amérique française » à une entreprise privée ?

On nous répond qu’à l’origine, c’est le gouvernement libéral qui a imposé des coupes budgétaires au ministère de la Culture et autorisé la vente de la maison Chevalier. Après plusieurs approches auprès d’organismes publics et d’OBNL, le Musée de la civilisation, qui était responsable de la vente, s’est finalement tourné vers le privé.

La famille Tanguay, qui est également actionnaire du Capitole dans le Vieux-Québec, compte installer le siège social de Gestion 1608 dans la maison Chevalier.

On veut nous rassurer en insistant que l’édifice emblématique sera toujours soumis à la loi sur le patrimoine culturel. Mais ce n’est pas vraiment là où le bât blesse.

Ce qui est désolant dans cette vente, c’est qu’un bien public d’une telle qualité passe aux mains du privé qui décidera désormais s’il permet ou non l’accès au lieu. Et qui en définira les termes.

Soyons réaliste, oui, le patrimoine coûte cher. Et non, on ne plaidera pas pour l’achat de tous les édifices à valeur patrimoniale de la province. Mais on ne parle pas ici d’une obscure bicoque à l’intérêt discutable. On parle d’un joyau patrimonial dont la valeur et la richesse font l’unanimité chez les experts. Un lieu privilégié pour raconter l’histoire nationale si chère au gouvernement caquiste.

Ironie du sort, c’est sous Maurice Duplessis (eh oui, encore lui !), en 1956, que la loi a été modifiée pour permettre à la Commission des monuments historiques d’exproprier le propriétaire de la maison Chevalier. Un geste politique fort qui a ensuite permis de valoriser la Place-Royale.

Depuis 65 ans, l’État québécois a investi des sommes considérables pour entretenir cet édifice évalué à 2,2 millions. On ne connaît pas encore la valeur de la transaction, mais elle devrait avoisiner ce montant.

C’est peu de dire que dans cette histoire, le contribuable québécois n’en a pas pour son argent.

C’est d’autant plus décevant que le gouvernement Legault s’apprête à investir plus de 200 millions dans un réseau d’espaces bleus supposés mettre en valeur notre patrimoine national dans 17 régions du Québec.

Il y a donc une dissonance cognitive entre le discours actuel du gouvernement sur la fierté nationale et la vente de la maison Chevalier. Cet édifice doit rester dans le giron de l’État québécois. Et si le privé a la protection du patrimoine à cœur, rien ne l’empêche de faire un don pour en assurer sa conservation.

Rectificatif : Une version antérieure de cet éditorial indiquait que la famille Tanguay était propriétaire des Remparts de Québec. Or, Jacques Tanguay est président de l’équipe de la LHJMQ, qui appartient à Québecor. Nos excuses.

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