Il est sans doute tentant, pour les employés non vaccinés du réseau de la santé, de croire qu’ils ont gagné le bras de fer qui les oppose au gouvernement sur la vaccination obligatoire.

Les récalcitrants, c’est vrai, ont tenu leur bout. Ils ont fait céder le gouvernement. Mais ils ont perdu le respect de l’immense majorité des Québécois. Ils ont perdu de vue l’essence même de leur métier – qui est de soigner, pas de rendre malade.

Et en refusant le vaccin, ils s’apprêtent à perdre des milliers de dollars en primes que leurs collègues, à travail égal, empocheront. Eux qui se battent depuis des années pour être reconnus à leur juste valeur…

Pour des gagnants, on a déjà vu plus glorieux.

En fait, tout le monde sort perdant de ce dénouement enrageant qu’on a connu mercredi. Le gouvernement perd la face et perd son rapport de forces. Les syndicats qui ont défendu l’indéfendable perdent en crédibilité et en capital de sympathie.

Et les patients vulnérables perdent l’assurance qu’ils seront pris en charge par des soignants qui ont pris toutes les précautions pour ne pas les infecter.

Personne, vraiment, n’a de quoi crier victoire.

On n’aimerait évidemment pas être dans les souliers de Christian Dubé. À deux jours de l’échéance qu’il avait fixée pour la vaccination obligatoire des employés de la santé, le ministre a réalisé que la partie de « chicken » dans laquelle il s’était lui-même engagé allait mal se terminer.

La vaccination obligatoire des travailleurs de la santé a pourtant fonctionné ailleurs, notamment en France. Mais ici, l’extrême fragilité du réseau a joué contre le gouvernement. M. Dubé en est venu à la conclusion que perdre 14 000 travailleurs vendredi allait avoir des impacts catastrophiques sur les patients et le personnel restant.

Un ministre ne peut mettre en péril son réseau seulement pour tenir son bout. Il doit prendre ses responsabilités, et il les a prises – quitte à subir ce qu’on n’a pas le choix d’appeler une humiliation.

Le gouvernement plaide qu’il n’a pas tout perdu. Avant d’annoncer la vaccination obligatoire, en août, on comptait 28 000 travailleurs du réseau de la santé non vaccinés. Il y en a aujourd’hui 14 000 qui n’ont reçu aucune dose. Le nombre de bombes ambulantes se baladant dans le réseau a donc été réduit de moitié. On peut se dire que c’est déjà ça. Ou faire le constat, lucide, que c’est nettement insuffisant.

Le gros problème est évidemment que le gouvernement vient de perdre sa crédibilité en reculant. En cédant sur l’échéance du 15 octobre, le gouvernement mine sa propre menace de suspendre tous les non-vaccinés le 15 novembre. Les ruptures de service feront toujours peur à cette date. Le gouvernement reculera-t-il à nouveau ?

À cette question maintes fois posée mercredi par les journalistes, le ministre Dubé a répondu de façon très peu convaincante. Il s’est contenté de dire qu’on « verra où on est rendu » le 15 novembre, parlant de « tendre la main » aux employés non vaccinés. Comme si le gouvernement avait abdiqué.

Il faudra pourtant tourner la page sur la mauvaise comédie qu’on vient de vivre. La COVID-19 est avec nous pour longtemps. L’objectif de vacciner les travailleurs de la santé demeure encore hautement justifié. Est-il maintenant possible que tout le monde travaille dans le même sens pour y parvenir ?

Le message est, en tout cas, passé aux syndicats, qui sont loin de sortir la tête haute de l’exercice. Ils doivent impérativement laisser tomber l’injustifiable contestation judiciaire entamée contre la vaccination obligatoire. Et (enfin !) mettre de la pression sur leurs membres pour qu’ils relèvent leur manche.

Le moment est venu de penser aux patients. Pas aux rapports de forces, aux jeux de coulisse et aux affrontements publics.

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