Des électrons québécois qui font scintiller les écrans de Times Square ? Qui propulsent les ascenseurs de Manhattan ? Qui alimentent les commerces et les résidences de Brooklyn et de Queens ?

Avouez que ça fait du bien à la fierté nationale. L’entente conclue par Hydro-Québec avec l’État de New York est un coup de circuit. Ses bénéfices environnementaux sont énormes – quatre fois ceux de la fermeture de la raffinerie Shell à Montréal, il y a 10 ans. Et le Québec empochera 20 milliards de dollars en 25 ans.

Hydro-Québec a également une entente, presque aussi importante, avec le Massachusetts. Cela provoque un enthousiasme légitime. Et on se met à rêver.

On imagine d’autres barrages. Encore plus d’électricité provenant de nos rivières qui permet à certains États de décarboner leur économie. Le Québec qui devient la « batterie verte du nord-est de l’Amérique », comme le dit François Legault.

Ce rêve, il est beau. Mais il faut réaliser qu’il y a une marge entre vendre de l’électricité en surplus et développer de nouveaux barrages pour en exporter.

En fait, en matière d’électricité, on peut comparer le Québec à un vendeur de soupe. Et il y a des limites à allonger la soupe avec de l’eau. Suivez-nous pour comprendre.

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L’hydroélectricité est un joyau du Québec. Mais le cœur de ce joyau reste nos bonnes vieilles centrales comme Manic-5 et le complexe La Grande. Elles produisent de l’électricité à un coût ridiculement bas, inférieur à 2 cents du kilowattheure.

Tout ce qu’on ajoute dans le mélange fait grimper le coût moyen. Comme un cuistot qui dilue son précieux bouillon avec de l’eau.

Les pionniers qui ont développé l’hydroélectricité dans les années 1970 n’étaient pas idiots. Ils ont choisi les rivières qui avaient le meilleur potentiel au meilleur prix. Ce qui reste est forcément moins intéressant – d’autant que les coûts de développement ont bondi.

Prenez le nouveau complexe de la Romaine. L’électricité qu’il génère coûte 6,3 cents du kilowattheure selon Hydro-Québec, et même plus selon les calculs de l’expert Jean-Thomas Bernard. Dans tous les cas, on arrive près du prix de vente avec New York (environ 8 cents le kilowattheure).

Les projets qu’on développerait à l’avenir seraient encore plus chers. Il n’est pas clair qu’ils tiendraient la route économiquement, surtout que les prix du solaire et de l’éolien ont baissé. Les éoliennes d’Apuiat, par exemple, produiront de l’électricité à 6 cents le kilowattheure au Québec.

Ça ne veut pas dire que le Québec n’a pas un grand rôle à jouer dans la décarbonation de l’économie nord-américaine. L’éolien ne produit rien quand le vent tombe, et le solaire fluctue avec l’ensoleillement. En modulant l’eau qui coule de ses barrages, Hydro-Québec a une solution en or pour stabiliser la production d’énergie renouvelable.

Quand on parle du Québec comme de la « batterie » du nord-est de l’Amérique, c’est comme ça qu’il faut le voir. Une batterie, après tout, emmagasine l’énergie plutôt que la produire. Ce rôle d’égalisateur pourrait devenir le plus important de la province dans un réseau consolidé.

Il reste par ailleurs de l’espace pour augmenter la production éolienne au Québec. Et, surtout, pour exploiter notre plus gros potentiel en électricité : celle qu’on gaspille.

Dans ce cas, c’est le meilleur de la soupe qu’on laisse fuir, comme si on cuisinait avec un chaudron percé. Le colmater avec des mesures d’efficacité énergétique permettrait de récupérer 30 térawattheures, selon les experts. C’est trois fois ce qu’on exportera à New York !

Les Américains en sont de plus en plus friands de notre soupe hydroélectrique. Mais enlevons-nous de la tête qu’on peut en produire à l’infini pour pas cher. Et veillons sur les quantités qu’on a la chance d’avoir.

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