Chèvrechoutiste. Le mot a été créé par les Belges, dit-on, mais il convient parfaitement à Erin O’Toole.

Le chef du Parti conservateur tente souvent, très souvent, de ménager la chèvre et le chou. Il essaie désespérément de faire plaisir à tout le monde.

Ce n’est pas nouveau.

Il s’est peinturé dans un coin dès la course à la direction du Parti conservateur. Il a courtisé l’aile la moins progressiste de la formation politique afin de vaincre Peter MacKay. Et ça a fonctionné.

Le problème, c’est qu’il marche maintenant sur des œufs.

Il n’a pas l’intention de délaisser sa base – ce serait politiquement suicidaire –, mais il doit à tout prix l’élargir s’il veut s’enraciner ailleurs que dans l’ouest du pays.

S’il ne veut pas subir, en somme, le même sort qu’Andrew Scheer en 2019.

C’est pourquoi la rencontre éditoriale de La Presse avec le chef conservateur nous a permis d’avoir une idée un peu plus claire… du flou qu’il entretient encore sur plusieurs enjeux d’importance.

Les armes à feu, par exemple. Le décret qui interdit quelque 1500 modèles d’armes d’assaut sera aboli. Celles-ci ne seront pas autorisées pour autant, promet-il, ayant ajouté une note en bas de page à sa plateforme pour officialiser la chose.

En revanche, il prévoit aussi une révision du système global de la classification des armes à feu. Certaines armes interdites pourront-elles, ensuite, revenir sur le marché canadien ? Impossible de le savoir…

Depuis le début de la campagne, le chef conservateur a offert des réponses évasives et parfois même changé complètement d’idée sur d’autres sujets. Ça va des changements climatiques au rôle du privé en santé, en passant par l’avortement et, bien sûr, le dossier des garderies.

Il est parfois dur à suivre.

Et c’est forcément plus difficile de lui faire confiance.

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Erin O’Toole se présente comme le plus modéré de tous les chefs conservateurs depuis la nouvelle mouture du parti, qui date du début des années 2000 (issue du mariage de raison entre l’Alliance canadienne et le Parti progressiste-conservateur).

Il semble à des années-lumière de l’ancien chef conservateur Andrew Scheer, qui était un digne représentant de la frange des paléoconservateurs. D’ailleurs, contrairement à son prédécesseur, Erin O’Toole est pro-choix.

Et contrairement à Stephen Harper, qui avait pris l’habitude de diviser pour régner, le nouveau chef se veut rassembleur. Par ailleurs, si l’ancien premier ministre conservateur était introverti et pouvait se révéler cassant, Erin O’Toole est affable et on le sent très à l’aise lors d’échanges avec les journalistes.

À sa décharge, si on a parfois du mal à savoir où il loge, ce n’est pas entièrement sa faute. La vision du conservatisme qu’il souhaite incarner se heurte visiblement à celle de plusieurs de ses députés.

Le Parti conservateur traîne encore, en son sein, des élus qui peuvent sembler avoir été transplantés du Texas.

Il est aussi redevable, de façon plus générale, aux électeurs de l’ouest du pays. C’est de toute évidence ce qui entre en jeu sur la question de l’urgence climatique, par exemple.

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Mais Erin O’Toole a aussi de grandes qualités.

Non seulement est-il plus modéré que ses prédécesseurs, mais il semble observer les tendances centralisatrices des libéraux avec un mélange d’incompréhension et d’insatisfaction.

Son « fédéralisme de partenariat » est alléchant.

« Après six ans d’ingérence dans les champs de compétence [des provinces] et de division, les Québécois sont tannés de l’approche de M. Trudeau », a-t-il déclaré en entrevue éditoriale.

Il promet de rétablir la confiance entre les provinces et Ottawa. Ça fait partie de son « contrat avec le Québec », dit-il.

C’est d’ailleurs parce qu’il est convaincu que les propositions des conservateurs en la matière vont dans le sens des intérêts du Québec que François Legault préférerait que le prochain gouvernement fédéral soit dirigé par Erin O’Toole.

Mais rares sont les Québécois pour qui seule compte la conception du fédéralisme. Les valeurs, le leadership et un point de vue progressiste sur les grands enjeux de société y sont aussi pour beaucoup dans le choix d’un chef, le jour du scrutin venu.

On saura la semaine prochaine si un grand nombre de Québécois auront cru à la conversion du Parti conservateur.

Ou si, au contraire, ils seront nombreux à juger qu’Erin O’Toole se livre encore à trop de contorsions au sujet d’enjeux fondamentaux et qu’il n’est pas, par conséquent, digne de confiance.

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