La question est simple : le gouvernement du Canada doit-il dépenser 4 milliards pour construire le troisième lien à Québec ?

La réponse de Justin Trudeau, elle, n’est pas claire.

On sent que les libéraux fédéraux ont peu d’appétit pour le troisième lien, ce projet si cher au gouvernement Legault. Leurs réponses varient de « on n’a pas de programme pour ça » à « on n’a pas reçu de demande officielle ».

Bien esquivé. Sauf que les électeurs québécois ont le droit de savoir ce que le gouvernement Trudeau compte faire.

Et il faut espérer que M. Trudeau dise non.

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Les conservateurs fédéraux ont indiqué cette semaine qu’un gouvernement O’Toole paierait 40 % de la facture du troisième lien, comme le demande le gouvernement Legault.

C’est clair. C’est aussi une mauvaise utilisation des fonds publics.

Le troisième lien est un mauvais projet de transport. Il faut souhaiter que ce projet ne voie jamais le jour.

Principalement pour deux raisons.

Premièrement, il ne répond pas à un besoin important. Oui, les gens au centre-ville de Lévis doivent faire un long détour par l’un des deux ponts existants pour rejoindre Québec. Sauf que la région de Québec est l’une des agglomérations au pays où il y a le moins de congestion automobile1. Et la population active (20-64 ans) de la région de Chaudière-Appalaches devrait diminuer de 10 % d’ici 2041, selon l’Institut de la statistique du Québec.

Deuxièmement, son coût est incroyablement élevé pour le gain de temps de transport.

Québec, qui n’a pas dévoilé publiquement d’études ou de modélisations d’affluence, estime que 55 000 véhicules emprunteront le troisième lien en 2036. Comme le projet est estimé à 9,5 milliards de dollars, ça devrait coûter 1,7 milliard par tranche d’affluence de 10 000 véhicules par jour.

Ça revient à 5,5 fois plus cher par véhicule que le nouveau pont Champlain à Montréal.

Construit au coût de 4,24 milliards pour affluence de 136 000 véhicules par jour, le pont Samuel-De Champlain revient à 312 millions par tranche de 10 000 véhicules par jour.

Le verdict est clair : le troisième lien est beaucoup, beaucoup trop cher pour le gain attendu.

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En 2017, alors qu’elle luttait pour sa survie politique, la Coalition avenir Québec a promis de réaliser le troisième lien. Depuis, elle défend cette promesse phare, une idée populaire dans la grande région de Québec, particulièrement sur la Rive Sud.

Ce n’est pas le problème de Justin Trudeau.

Depuis 2015, le gouvernement Trudeau privilégie de toute évidence les transports en commun dans les investissements en infrastructures. Si bien qu’aujourd’hui, le fédéral n’a pas de programme pour financer de nouvelles autoroutes comme le troisième lien.

Québec fait valoir que le fédéral a financé en 2019 l’agrandissement de l’autoroute 19 dans la région de Montréal à hauteur de 260 millions pour y ajouter des voies de transport en commun. Mais c’était dans le cadre d’un programme fédéral, Nouveau Fonds Chantier du Canada, qui avait été créé par le gouvernement Harper et dont les coffres sont aujourd’hui vides (on n’accepte plus de nouvelles demandes). Le gouvernement Trudeau a seulement dépensé ce qu’il restait dans ce fonds à son arrivée.

Sous Justin Trudeau, Ottawa préfère investir ses milliards en infrastructures dans les projets composés entièrement ou principalement de transports en commun « lourds » : le train, le tramway, le service rapide par bus et le métro. À l’ère des changements climatiques, c’est une sage décision.

C’est aussi son droit le plus strict.

Ottawa n’a pas à faire d’exception pour le troisième lien, un projet peu porteur sur le plan tant de l’environnement que du développement urbain.

En plus du troisième lien, Québec demande au fédéral de payer une partie des nouvelles voies réservées aux transports en commun sur plusieurs autoroutes existantes à Québec (coût total : 844 millions). Ce n’est pas évident si ça se qualifie dans les programmes fédéraux. Là-dessus, Ottawa pourrait montrer un peu de souplesse. On ne veut pas que Québec ait un traitement distinct. Mais on parle de voies réservées qui vont améliorer les transports en commun sur des autoroutes existantes.

Le troisième lien ? Il a beau y avoir deux voies sur six consacrées aux transports en commun, cette nouvelle infrastructure routière bénéficiera principalement à l’auto individuelle. Dans le pire des cas, si M. Trudeau voulait étirer l’élastique au maximum, Ottawa paierait 1,27 milliard pour les voies réservées2. Mais on le répète : ce n’est pas une bonne idée. M. Trudeau devrait dire non.

En mai dernier, le gouvernement Legault a indiqué qu’il irait de l’avant avec le troisième lien peu importe si Ottawa investit ou non. Ce serait une erreur, mais ce sera sa décision.

M. Trudeau esquive la question du troisième lien depuis des mois. S’il veut être cohérent avec sa vision environnementale et de développement urbain, il doit expliquer aux Québécois pourquoi ce n’est pas une bonne idée d’investir dans le troisième lien.

C’est le temps d’arrêter de tourner autour du pot.

1. Environ 2,3 % des résidants de la Capitale-Nationale font plus d’une heure par jour dans leur auto pour aller travailler ; Québec est ainsi la sixième ville parmi les moins congestionnées parmi 35 agglomérations au pays. Québec est aussi la deuxième ville (sur 11 grandes villes canadiennes) avec le plus de kilomètres d’autoroute par personne. Les chiffres dans le paragraphe et dans cette note ont été répertoriés par notre collègue Paul Journet dans une chronique publiée en mai dernier.

Lisez la chronique de Paul Journet à ce sujet

2. Coût total de 9,5 milliards x 33 % du projet réservé aux transports en commun x part fédérale de 40 % = 1,27 milliard en contribution fédérale pour les voies du troisième lien réservées aux transports en commun

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