Si un projet de transports en commun de près de 10 milliards était présenté, le gouvernement Legault l’appuierait-il avec l’enthousiasme qu’il démontre pour le tunnel Québec-Lévis ?

Sûrement pas. Pour le tramway de Québec, les caquistes avaient demandé des ajustements pour réduire les coûts. Pour le prolongement de la ligne bleue de Montréal, ils songent à sacrifier une station pour la même raison. Mais pour le tunnel, l’argent pleut.

Le premier ministre François Legault croit être en terrain solide. Son projet a été amélioré. Il ne défigurera pas l’île d’Orléans. Et au lieu d’un « troisième lien », on parle d’un « Réseau express de la capitale ». Il comprend 100 kilomètres de voies réservées et des interconnexions avec le tramway. La sortie du tunnel à Québec se fera près d’ExpoCité au lieu du quartier résidentiel de Saint-Roch, et une partie de l’autoroute Laurentienne pourrait devenir un boulevard urbain.

Le maire de Québec, Régis Labeaume, et la Chambre de commerce de sa ville se sont ralliés au projet. La rectrice de l’Université Laval et l’Administration portuaire de Québec l’appuient également. Et à Lévis, c’est l’euphorie.

PHOTO YVES TREMBLAY, LES YEUX DU CIEL

Le gouvernement du Québec a annoncé lundi qu’il financera la construction d’un tunnel entre les villes de Québec et de Lévis.

Le projet est meilleur, mais est-il pour autant nécessaire ? Je cherche encore la preuve qu’il l’est.

Des Lévisiens se plaignent de la congestion routière et du détour requis pour traverser le fleuve, car les deux ponts sont dans l’Ouest. Pour eux, le désagrément est réel.

Mais en le comparant, on le relativise. Selon les données de Statistique Canada1, seulement 2,3 % des résidants de la Capitale-Nationale passent plus d’une heure par jour dans leur voiture pour se rendre au travail. Sur 35 agglomérations canadiennes, Québec est au sixième rang des moins congestionnées.

Il y a aussi déjà beaucoup d’asphalte à Québec. Parmi les 11 plus grandes villes du pays, Québec est la deuxième pour le nombre de kilomètres d’autoroute par habitant.

La région a un problème spécifique, rappelle le gouvernement : pour aller à Québec, un résidant de Lévis doit faire un détour vers l’ouest pour accéder aux ponts. Idem pour le transport de marchandises qui transite par le secteur. C’est vrai, mais ces gens ne sont pas si nombreux. Selon l’enquête Origine Destination, seulement 17 % des résidants de la Rive-Sud traversent le fleuve au quotidien. Et sur la Rive-Nord, ce taux est de 5 %. Cela totalise 77 000 navetteurs, dont bon nombre habitent dans l’Ouest près des ponts actuels.

Selon la modélisation commandée par le gouvernement, 55 000 personnes utiliseraient le tunnel. La congestion à l’heure de pointe diminuerait de 15 %.

Reste que pour ce gain, la facture serait énorme. À titre de comparaison, le tunnel coûterait cinq fois plus cher par automobiliste que le nouveau pont Champlain, qui accueille un réseau de transport collectif (le REM) plus structurant que des voies réservées.

En outre, la population de la Rive-Sud devrait diminuer légèrement dans la prochaine décennie. À Québec, on réplique que le nombre de véhicules augmentera malgré tout, à cause de la croissance du parc automobile. Et quand le tunnel sera terminé, les véhicules seront en bonne partie électriques – la vente des modèles à essence sera d’ailleurs interdite à partir de 2035.

Ces arguments ne convainquent pas Marie-Hélène Vandersmissen et Dominic Villeneuve, respectivement professeure au département de géographie et professeur à l’École supérieure d’aménagement du territoire de l’Université Laval. Selon eux, c’est un projet du passé.

La mobilité durable consiste à réduire la distance des déplacements et à encourager les transports collectifs et actifs. Or, le tunnel favorise plutôt la voiture. Car plus on crée de routes, plus on incite les gens à conduire, résume Mme Vandersmissen. À long terme, la congestion pourrait revenir au niveau initial, prévoit-elle.

Quant à l’étalement urbain, il augmentera. Les caquistes s’en soucient peu, comme on l’a vu avec le récent dézonage de terres agricoles dans la MRC de Montcalm et à Beauharnois. Et à Québec, on se souvient du terminal méthanier Rabaska – même s’il n’a jamais été construit, le dézonage demeure.

Les caquistes veulent recadrer le tunnel dans le projet plus vaste de Réseau express, avec les voies réservées dans le tunnel pour les autobus électriques et ailleurs dans la région. Il s’agit sans doute d’un gain. Mais pour l’obtenir, fallait-il un tunnel de deux étages à un tel coût ?

Les libéraux, solidaires et péquistes croient que non. Et il sera difficile de convaincre le fédéral de financer cette infrastructure – l’enveloppe est réservée aux projets verts.

M. Legault a parlé d’une « gageure » pour l’avenir. Il espère que le Réseau express de la capitale, qui reliera directement Lévis au centre-ville, accélérera des projets de développement économique comme celui de la Place Fleur de Lys.

Mais sa principale gageure est électorale. Peu importe ce que pensent les experts, le tunnel reste populaire à Québec, bien plus que le tramway. Et la science des sondages est écoutée par les politiciens.

1. Données de 2016. Ce sont les plus récentes.